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intelligens étaient provoqués par la découverte de Margraff, chimiste prussien, qui avait observé la présence d’un sucre cristallisable, semblable au sucre de canne, dans des solutions alcooliques où se trouvaient immergées des tranches de betterave. Dès 1799, un premier procédé manufacturier avait été indiqué par Achard, membre de l’Académie des Sciences de Berlin. Bien que ce procédé fût long, dispendieux, et d’une réussite incertaine, c’était un pas de fait dans la voie manufacturière. La Société d’agriculture de la Seine le comprit[1], et décerna en l’an XI à l’auteur une médaille d’or, pour avoir le premier en Europe extrait en grand du sucre cristallisable de la betterave. Dans la même séance, voulant récompenser les premiers perfectionnemens des procédés manufacturiers, la Société d’agriculture décerna une médaille d’or à Deyeux, de l’Institut.

Dès l’année 1810, MM. Schumacher et C° avaient fondé une fabrique de sucre où ils obtenaient de 54,450 k. de betteraves 1,100 k. de sucre brut, ou 2 pour 100, le tiers à peine de ce que l’on obtient maintenant des bonnes variétés traitées par les procédés modernes. Barruel introduisit quelques améliorations nouvelles, notamment l’emploi du gaz acide carbonique, mais dans des conditions bien moins favorables que celles ménagées aujourd’hui par un autre inventeur, et Ch. Derosne rendit l’extraction plus rapide et plus sûre en substituant à la cristallisation lente dans des étuves évaporatoires la concentration directe et la cristallisation immédiate du sucre brut. De leur côté, les ingénieurs mécaniciens apportèrent graduellement des perfectionnemens remarquables aux ustensiles et machines propres à diviser ou à réduire les betteraves en pulpe, et à en extraire le jus sucré[2].

  1. Cette compagnie, instituée sous le nom de Société royale d’agriculture de Paris, par Louis XV, en vertu d’un arrêt du conseil d’état, le 1er mars 1761, reçut de Louis XVI, le 30 mars 1788, un règlement qui l’organisa en Société royale et centrale pour tout le royaume. Supprimée avec les autres sociétés savantes en 1793, elle se réunit spontanément, avec l’appui de l’administration départementale, en juin 1798, sous le nom de Société d’agriculture du département de la Seine. L’empereur Napoléon lui rendit une existence légale en l’autorisant à prendre le titre de Société impériale d’agriculture. En 1848, le gouvernement provisoire régla la division de la société en sections ; enfin un décret du 1er janvier 1853 la rétablit sous le titre de Société impériale et centrale d’agriculture.
  2. On doit citer particulièrement le laveur de M. Champonnois, les râpes mécaniques de Burette, d’Odobel, de Pichon, et surtout de Thierry, les presses d’Achard d’Isnard, d’Olivier, de Molard, les chaudières et appareils évaporatoires de Guillon, Derosne, Sorel et Gautier, Taylor et Martineau, Halette, Moulefarine, Pecqueur, Howard, Derosne et Cail, etc. Dès l’année 1812, le gouvernement impérial imprimait la plus vive impulsion aux travaux de la sucrerie indigène. Un décret du 15 janvier de cette année fonde 5 fabriques-écoles : aux Vertus près Paris, dans le département du Mont-Tonnerre, à Douai, Strasbourg et Castelnaudary ; 100 élèves chimistes y doivent être formés aux opérations pratiques. Ce décret prescrit l’ensemencement de 100,000 arpens métriques en betteraves, offre 500 licences affranchissant de tous droits pendant quatre ans un égal nombre de manufacturiers, crée 4 fabriques impériales, dont une à Rambouillet devant produire 2 millions de kilos de sucre dans la campagne suivante. En 1813, 334 fabriques produisirent 3,800,000 kilos de sucre. Cette production depuis lors, après des alternatives de baisse et de hausse, peu à peu décuplée, est devenue enfin trente fois plus considérable.