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vastes moraines les plaines de la Russie, celles du nord de l’Allemagne, du Canada et des États-Unis. Cette hypothèse singulière a été abandonnée par ceux mêmes qui ont toujours été les disciples les plus fervens de M. Agassiz, et il y aurait à peine lieu à la discuter, si, dans son ouvrage sur le Lac-Supérieur, M. Agassiz ne la présentait dans les mêmes termes qu’autrefois, et ne cherchait à établir qu’elle est seule propre à rendre compte des phénomènes erratiques. Cette persistance ne ramènera sans doute pas ceux qui ont cru devoir abandonner les conséquences extrêmes de la théorie glaciaire. Tant qu’il ne s’est agi que de montrer à la faveur de quel climat les glaciers des Alpes avaient pu s’étendre jusqu’au Jura, M. Agassiz a toujours cherché à prouver qu’il suffisait pour cela d’une diminution assez peu notable dans la température moyenne de l’année ; mais il faut bien sortir de ces termes quand on veut représenter la région polaire entière et une grande partie de la zone tempérée comme couvertes par un glacier unique : des variations légères dans le climat ne suffiraient point à modifier d’une manière complète les caractères d’une partie si considérable du globe. Quand on aurait fait voir ce qui a occasionné une pareille révolution météorologique, il resterait encore à expliquer comment un glacier pourrait se mouvoir sur des plaines parfaitement unies. Tous les glaciers que l’on connaît sont suspendus aux flancs inclinés des montagnes ; dans le Groenland et les terres arctiques, si souvent explorés depuis quelques années, on n’en voit que dans les vallées qui débouchent sur la mer, A l’intérieur des terres, on ne trouve plus que les neiges éternelles qui comblent toutes les ondulations du sol.

La plupart des géologues admettent volontiers aujourd’hui que le phénomène restreint auquel il faut attribuer l’extension ancienne des glaciers des Alpes a également agi dans les montagnes Scandinaves et dans quelques massifs montueux de l’Amérique du Nord ; mais il faut attribuer au dépôt erratique des plaines une autre origine. Cette cause agit peut-être encore aujourd’hui sous nos yeux. Chaque année, les détroits du grand labyrinthe des terres arctiques sont obstrués par les champs de glaces et les débris des glaciers. Ces radeaux flottans emportent avec eux une immense quantité de débris, et déposent en fondant leur fardeau dans la mer. Quelques montagnes de glace vont s’aventurer très loin vers le sud, mais la plupart des débris charriés par le courant polaire sont arrêtés à la hauteur du gulfstream ; le banc de Terre-Neuve tout entier est le produit de cette rencontre. Si cette partie de l’Atlantique était aujourd’hui mise à sec, on y trouverait sans doute des dépôts entièrement semblables à certaines formations dites erratiques, des barres sablonneuses, des amas de matériaux incohérens, grossièrement stratifiés. Les mêmes