Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/925

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mlle de Saint-Urbain est une jolie femme svelte, au minois mutin, qui tient plus du type de Manon que de celui de Mme Frezzolini, une patricienne, une gentildonna de la plus grande élégance. La voix de Mlle de Saint-Urbain répond à son physique : c’est un soprano agréable, d’une sonorité médiocre, excepté les cinq dernières notes du registre supérieur, fa, sol, la, si, do, qui ont un certain éclat dont il ne faudrait pas abuser. Cependant sa respiration est courte, et en ajoutant à cette petite imperfection une vocalisation lourde, qui ne peut guère s’améliorer, parce que la nature de l’organe s’y refuse, on acquiert la conviction que Mlle de Saint-Urbain ne peut être qu’une charmante cantatrice de fantaisie, une excellente prima-seconda donna di cartello, pour parler la langue des impresarii. Elle a été accueillie avec bienveillance par le public, et s’est fait justement applaudir dans le duo du troisième acte avec M. Corsi, comme dans le beau quatuor de la scène finale. M. Mario était en voix, et la représentation n’aurait laissé rien à désirer, si tout le monde ne s’était donné le mot pour chanter au-dessous et quelquefois au-dessus du ton. Ce qu’il y a de mieux cette année au Théâtre-Italien, c’est l’orchestre, qui a trouvé dans M. Bonetti un chef intelligent et zélé.

Le Théâtre-Lyrique, qui s’était reposé pendant deux bons mois à l’ombre de ses succès, a fait sa réouverture le 1er  septembre. Quelques opérettes avaient été données à la fin du printemps, le Duel du Commandeur de M. Lajarte, les Commères de M. Montuoro, un compatriote de l’illustre Manin que l’Italie vient de perdre si prématurément, et les Nuits d’Espagne, ouvrage en deux actes de M. Semet qui vaut une grosse partition. Il y a de l’entrain, de la facilité mélodique et une assez forte dose de bonne humeur dans ce premier début de M. Semet, qui ne peut tarder de reparaître devant le public, qui a gardé de son talent un bon souvenir. Un opéra en un acte, Maître Griffard, de M. Léo Delibes, mérite aussi une mention honorable pour les bonnes intentions qu’on y remarque, et dont la meilleure est un petit air comique : Je suis Blaise, etc. Mais il est temps de nous occuper un peu de musique, nous voulons dire de l’Euryanthe de Weber, que la direction du Théâtre-Lyrique a fait traduire et arranger pour le goût de son public.

Cette fois-ci M. Carvalho a été moins bien inspiré que lorsqu’il entreprit, il y a un an, d’approprier au théâtre qu’il dirige l’Oberon du même compositeur. Les difficultés aussi étaient plus grandes. Euryanthe est un opéra héroïque sans dialogue et accompagné de récitatifs, ce qui, d’après notre classification un peu arbitraire, le range parmi les ouvrages qui appartiennent au genre du Grand-Opéra. En supprimant les récitatifs de la partition d’Euryanthe, on a commis une erreur semblable à celle qu’on a faite à l’Opéra en y transportant le Freyschütz, qui est une légende populaire où le dialogue fait partie intégrante et nécessaire de l’action. Faire déclamer des récitatifs pompeux aux humbles personnages du Freyschütz, qui se composent d’un garde-chasse, de sa fille, de son fiancé Max et de paysans, est un contre-sens non moins grave que de prêter à la belle Euryanthe, au roi qui la protège et au chevalier Adolar, qui est épris de ses charmes, les menus propos de gens du commun. Peut-être eût-il été plus facile de faire subir à la partition d’Euryanthe l’opération césarienne dont nous venons de parler, si les arrangeurs avaient été des musiciens, et des