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tons existans entre les différens objets éclairés par le véritable soleil. Partant de ce disque jaune comme de la lumière la plus vive que pût lui fournir la peinture à l’huile, il a exprimé les différens degrés d’ombre et de lumière de la manière la plus exacte, mais toutefois en exagérant l’intensité des ombres, afin qu’elles conservassent leur relation avec le point qui sur sa toile était le plus lumineux. Ce calcul du peintre peut se comparer à celui du musicien qui transpose un air. Nous reconnaissons un air transposé, non point aux notes, qui sont différentes de celles que nous avons entendues d’abord, mais en retrouvant les mêmes intervalles et les mêmes gradations entre d’autres notes.

Tous ces artifices, qu’autrefois on étudiait et qu’on admirait dans les maîtres, sont répudiés par les préraphaélites comme des mensonges. « Il faut, disent-ils, être vrai ou succomber à la peine. » Tout ce que l’œil voit, il faut que la main le reproduise franchement, simplement; la nature ne saurait avoir tort, ni l’artiste qui la copie avec fidélité. Aussi l’effet est-il proscrit par eux comme un arrangement, comme une convention contraire à la vérité. Plusieurs de ces jeunes artistes travaillent en plein air pour éviter, disent-ils, les ombres factices. Le résultat de cet amour de la vérité est toujours fatal dans la pratique. Lutter contre la nature, c’est s’attaquer à un rival trop redoutable, et l’impuissance humaine termine bientôt le combat. En cherchant à rendre la lumière, les préraphaélites rencontrent la crudité des tons ; leur composition est confuse de peur de tomber dans l’arrangement calculé; enfin la conscience à rendre tout ce qu’ils voient les entraîne à exagérer l’importance des accessoires, et même à les faire prévaloir sur les objets principaux, car l’attention se porte naturellement sur ce qui est rendu avec le plus d’exactitude, et je n’ai pas besoin d’ajouter qu’habile ou inhabile, un artiste imitera toujours mieux ou moins mal la matière inerte qu’un être animé.

Tous ces défauts, en dernière analyse, se réduisent à un seul, l’inexpérience. Très probablement avec le temps, avec le succès, le rigorisme que prêchent les novateurs se relâchera quelque peu. Les exagérations puritaines n’ont qu’un temps, celui de la lutte. Nos romantiques, qui traitaient Racine de ganache, lui ont fait amende honorable dès qu’on leur a concédé que Shakspeare était un grand génie, et je ne désespère pas de voir un jour les préraphaélites admirer Raphaël.

Quelque chose restera de leur levée de boucliers qui vaudra peut-être encore mieux que leurs œuvres, c’est la rénovation du système d’études en Angleterre. Le dessin, très longtemps négligé, est remis en honneur, et dès lors il va donner une base solide à l’éducation.