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est un vrai cachemire; je l’ai entendu dire à une femme qui s’y connaissait. Je voulus savoir pourquoi cette belle chanteuse pleurait, tandis que son compagnon était si gai. Malheureusement le livret était fort laconique : Conscience awakened, « le Réveil de la conscience.» J’avoue que je me trouvai encore plus embarrassé qu’avant d’avoir eu recours au catalogue. Par fortune, je rencontrai un artiste anglais qui me donna l’explication suivante : « Vous voyez bien que les deux personnages de ce tableau n’ont pas une conduite correcte. Regardez la main de cette belle personne dont les cheveux vous semblent trop ardens. Vous observerez qu’elle n’a pas d’anneau de mariage; donc elle n’est pas mariée. On lui passe un bras autour de la taille; donc elle a un amant. Elle chante une mélodie de Moore que vous devriez savoir par cœur, et dont vous liriez facilement le titre si vous vous retourniez la tête en bas et les pieds en haut. Or ce titre vous avertirait qu’au troisième couplet cette infortunée trouve une allusion à la fausse position où elle se trouve, et cette allusion la suffoque au milieu de la roulade commencée. C’est alors que la conscience se réveille, et c’est là ce qu’a exprimé M. Hunt. — Et le chat? demandai-je. — Le chat est tout à la fois un épisode intéressant et un mythe moral. Il représente les mauvais instincts, et le serin l’innocence, deux emblèmes très bien choisis. »

Je me suis arrêté à ce tableau d’abord parce qu’il a des qualités d’exécution remarquables, puis parce qu’il peut donner une idée assez juste des tendances des préraphaélites : habitudes méditatives, goût pour la recherche, prétention à la profondeur, mêlés à beaucoup d’inexpérience. La fréquentation des gens de lettres leur a été funeste, à ce que je crois, car c’est après avoir composé dans leur tête un roman ou un poème qu’ils prennent leurs pinceaux. Une plume vaudrait mieux peut-être pour exprimer leurs idées. J’ajouterai toutefois qu’il serait souverainement injuste de considérer la confusion que font souvent les préraphaélites entre les attributions de l’art du dessin et celles de la littérature comme une erreur inhérente à leur doctrine même. Au fond, dans la première ferveur de leur enthousiasme, ils veulent tout embrasser; une seule gloire ne leur suffirait pas, et comme si les difficultés de leur art n’offraient pas des obstacles assez considérables pour l’ardeur qui les anime, ils en cherchent d’autres sur un terrain où ils ne devraient pas s’égarer.

L’exécution de leurs ouvrages témoigne de la même audace et du même mépris pour les erremens de leurs devanciers. Ils rougiraient de suivre l’exemple des anciens maîtres, qui, pénétrés de l’insuffisance de leurs ressources, ont tourné les difficultés réellement insurmontables. Savoir choisir dans la nature ce qu’il faut imiter est