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fort peu en peine d’être vrais. Ils disposèrent à leur fantaisie de la lumière et de l’ombre, mais avec beaucoup d’habileté, il faut le reconnaître. Plusieurs de mes lecteurs se rappelleront sans doute le portrait de master Lambton, envoyé à une de nos expositions par sir Thomas Lawrence. La tête est inondée d’une vive lumière, et sur un fond de ciel d’un azur foncé on voit briller la lune. Quel astre éclaire cette charmante figure ? C’est ce que personne ne pourrait dire. L’aspect du tableau est séduisant, pourtant c’est autre chose que la nature.

Malgré ces licences, qui souvent passent la permission, et des incorrections qui frappent les yeux les moins exercés, les ouvrages des deux grands peintres que je viens de citer conserveront longtemps la réputation dont ils jouissent aujourd’hui, parce que quelques qualités éminentes suffisent toujours pour faire oublier les défauts qui les accompagnent. Ils montrèrent à leurs compatriotes qu’on pouvait être Anglais et artiste ; c’était déjà beaucoup. Toutefois ils laissaient un exemple bien dangereux. Leur talent à modeler une tête, à saisir une expression ne pouvait se transmettre, tandis que leurs élèves devinèrent assez facilement le secret de ces oppositions de couleurs, de ce jeu de lumière et d’ombre, de toutes ces ruses de l’art qui n’ont une valeur réelle que lorsqu’elles trouvent un génie original pour les mettre en œuvre. Ce qu’on retint le mieux, ce fut l’exécution hardie et lâchée qui des accessoires passa bientôt à toutes les parties d’un tableau. On a remarqué que la plupart des grands artistes, même les coloristes les plus audacieux et les plus insoucians de la forme, avaient eu pour maîtres des dessinateurs corrects. Rubens par exemple avait reçu des leçons d’Otto Venius, qui porte la précision dans le faire jusqu’à la sécheresse. En effet ce défaut est un de ceux dont on se corrige, et c’est presque un bonheur pour un peintre que de l’avoir à son début. L’affaiblissement de la vue, le désir et le besoin de produire, la confiance inspirée par de premiers succès, sont autant de motifs pour entraîner un artiste à une exécution moins serrée et moins consciencieuse. Au contraire, lorsqu’on commence par une exécution lâchée, ce défaut ne fait que s’accroître avec le temps et bientôt mène à la barbarie. Turner, né avec un talent véritable, mais s’abandonnant à sa fougue et privé dans son pays des avertissemens d’une critique éclairée, a laissé de tristes preuves des excès où conduit cette déplorable facilité. Dans les derniers temps de sa vie, ses ouvrages étaient non plus des ébauches, mais des barbouillages informes, et son encadreur fut obligé souvent de le consulter pour savoir de quel côté il devait mettre le piton destiné à suspendre ses tableaux. Bien des gens qui ont vu la collection de ses marines et de ses paysages