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citoyens consuls, paraît devoir fixer à jamais le prix et la valeur de l’argent. Le prix sera à l’abri des progressions qu’il a successivement éprouvées depuis des temps reculés jusqu’à ce moment; son abondance ni sa rareté ne pourront faire changer ni le poids, ni le titre, ni la valeur du franc. On ne sera pas exposé à voir effectuer des remboursemens avec des valeurs moindres que celles qui auront été prêtées. Leur dénomination équivaudra à celle de leur poids. Celui qui prêtera 200 francs ne pourra dans aucun temps être remboursé avec moins d’un kilogramme d’argent qui vaudra toujours 200 fr., et ne vaudra jamais ni plus ni moins[1]. L’abondance de l’argent ou sa rareté influera sur les objets de commerce et sur les propriétés; leur prix se réglera de lui-même dans la proportion du numéraire, mais l’argent restera au même prix. Ainsi on trouvera dans ce système la stabilité et la justice.

« Le mètre sera le régulateur du poids du franc d’argent, dont la valeur déterminera celle des autres pièces de monnaie. L’or sera avec l’argent dans une proportion comme 1 est à 15 1/2. S’il survient avec le temps des événemens qui forcent à changer cette proportion, l’or seul devra être refondu. Les frais de fabrication ne s’élèvent qu’à une moitié d’unité pour 100. Ces frais seront à la charge des propriétaires des espèces. »


Je prie le lecteur de lire attentivement les dernières lignes de cet extrait. Elles exposent avec une précision remarquable, et sur tous les points qui méritent d’être examinés, la pensée du gouvernement, ou pour mieux dire du législateur, puisque rien dans l’élaboration de la loi n’est venu les infirmer.

Le rapport de Gaudin, avec le projet qui y était annexé, fut envoyé au conseil d’état, conformément à la constitution de l’époque, afin que ce corps fît le projet de loi à présenter au corps législatif. La section des finances dut, selon la règle, étudier la question, pour en faire l’objet d’un rapport au conseil. Elle eut pour rapporteur M. Bérenger, intelligence élevée, et l’un des hommes de son temps les plus versés dans l’économie politique[2]. Les deux rapports que M. Bérenger fit successivement seraient également à leur place dans un recueil de documens législatifs et dans une anthologie économique. Dans leur brièveté, ils composent un traité théorique et pratique sur la monnaie. La nécessité de l’étalon unique particulièrement y est établie avec une grande force. Il ne se contente pas de montrer que le double étalon est une chimère, puisqu’il est impossible d’avoir pour la mesure des valeurs deux métaux dont, par la force des

  1. Le kilogramme d’argent fin fait 222 fr. 22 c; mais dans la monnaie la proportion d’alliage étant d’un dixième, c’est-à-dire la monnaie étant au titre de 9/10es de fin, le kilogramme de monnaie non-seulement doit valoir toujours, mais être toujours 200 fr.
  2. Trente-cinq ans après l’élaboration de cette loi, en 1838, j’ai eu l’honneur d’être le collègue de M. Bérenger au conseil d’état. Je l’ai vu plusieurs fois prendre part aux délibérations, et j’ai été témoin du respect si bien mérité avec lequel sa parole était écoutée. Je profite de l’occasion qui m’est offerte ici de rendre hommage à sa mémoire.