Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/844

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

firent faute d’en user. Tant que dura la monarchie de l’ancien régime, on ne cessa de faire des règlemens qui rappelaient cette prétention monstrueuse. La législation monétaire d’avant la révolution est tout à la fois, je ne crains pas de le dire, un fatras indigeste et un abîme d’iniquités, une insulte au bon sens et un attentat systématique à la propriété; les personnes qui y cherchent des argumens, des autorités, ou des dispositions applicables à notre temps, agissent à peu près comme celles qui, ayant à perfectionner le code d’instruction criminelle, iraient puiser dans les règlemens qui ordonnaient la torture des accusés, ou qui, se proposant de réformer les imperfections de notre législation fiscale, copieraient le code odieux de l’infernale[1] gabelle.

Charlemagne, qui fut de tant de façons un grand prince, avait établi un système monétaire conforme aux véritables principes. L’unité monétaire, la livre d’argent, était sous son règne un poids d’argent fin égal à l’unité de poids, ainsi que le nom le comporte, de même que l’as de cuivre des Romains. Telle fut aussi l’unité monétaire de Guillaume le Conquérant; mais avec le temps la livre d’argent fut diminuée par des princes aux expédiens, et sous saint Louis elle avait perdu environ les trois quarts de son poids. Saint Louis, ami ferme de la justice, voulut fixer la livre d’argent au point où il l’avait trouvée, et sa monnaie resta célèbre parmi les peuples. C’est un type vers lequel on se reporta longtemps; on redemandait la monnaie de monsieur sainct Loys, mais c’était vainement : dans l’intervalle de cinq siècles environ qui sépare saint Louis de la révolution française, la livre fut successivement faussée de telle sorte qu’elle perdit plus des dix-neuf vingtièmes de son poids d’argent[2]. Toutefois, ainsi que le fait remarquer M. Natalis de Wailly dans un excellent travail sur les variations de la livre tournois, quelque énorme que soit cette diminution, « elle ne donne qu’une idée incomplète des conséquences désastreuses qu’ont entraînées les mutations des monnaies. » Si la réduction avait suivi une marche graduelle, la perte, qui n’aurait pas atteint deux dixièmes par siècle, aurait été supportable pour chaque génération[3]. C’est ainsi qu’ont procédé les Osmanlis : ils ont modifié la monnaie toujours dans le même sens, en réduisant la quantité de métal contenue dans la piastre. La cu-

  1. C’est l’expression dont se servit Monsieur, depuis Louis XVIII, dans le bureau qu’il présidait à l’assemblée des notables.
  2. La livre de saint Louis ferait 20 fr. 26 c. de notre monnaie, poids pour poids. La livre de 1789 n’était plus que de 99 centimes (exactement, 98 c. 94/100es).
  3. Mémoire sur les Variations de la livre tournois depuis le règne de saint Louis jusqu’à l’établissement de la monnaie décimale, p. 30. On peut consulter aussi le Traité historique des monnaies de France, par Le Blanc.