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un argument qu’il faut réduire à ce qu’il a de vrai, et dont on ne doit point abuser.

On en abuse fort aujourd’hui. Rien de plus commun que d’entendre dire que ces formes si vantées de liberté débattue conduisent forcément à une catastrophe, et que téméraire est la tentative qui a fait depuis soixante ans la gloire de nos grands orateurs politiques. Le système représentatif a péri par une révolution : donc il est toujours gros d’une révolution. — Il a péri sans doute ; mais est-il le seul ? Et qui donc n’a pas péri ? Une révolution l’a brisé ; où est le gouvernement trempé dans le Styx et que ne sauraient atteindre les traits mortels des révolutions ? Les anciens régimes ont duré, et si, comme on le veut, ce qui est tombé devait nécessairement tomber, ce qui a duré doit être fait pour durer. À quel prix cependant assurerait-on aujourd’hui la vie d’aucun ancien régime ? Quel est celui que ne touchera pas ou n’a pas touché le vent qui souffle de nos jours ? Ce n’est pas le gouvernement représentatif qui est révolutionnaire, c’est le XIXe siècle. Et le XIXe siècle, est-ce donc le gouvernement représentatif qui l’a produit ? Est-il l’antécédent de toutes ces royautés qui se sentent en péril ? Est-ce parce que la sainte-alliance se composait d’états libres qu’elle se croyait si fort en danger ? Ce n’est pas apparemment pour avoir été l’analogue du gouvernement anglais que la monarchie de Louis XIV et de Louis XV a sombré en 1789. Et pour arriver sur-le-champ à l’exemple qui est dans toutes les mémoires, à la date qui trouble tous les esprits, la crise de 1848 a-t-elle donc montré la révolution compagne inséparable de la liberté ? Qui l’a traversée sans trouble et sans péril, cette crise redoutable ? Est-ce l’Angleterre ou l’Autriche ? Où la révolution a-t-elle éclaté ? Est-ce en Belgique et en Hollande, ou à Milan, à Florence, à Rome ? Ce n’est pas révolutionnairement, c’est spontanément, et non sous le coup du 24 février, que le Piémont a réformé ses institutions, et sa dynastie a grandi dans l’épreuve où tant d’autres ont faibli. Qui la révolution menace-t-elle davantage, le Piémont ou les Deux-Siciles ? Aucun système politique n’est un préservatif infaillible contre les effets du temps où nous vivons. Les pouvoirs les plus antiques, les plus incontestés, les plus absolus, se sont écroulés comme d’autres, et après tout, depuis que le vent de 1789 s’est élevé, et dans les contrées même où il règne, ce qui a duré le plus longtemps, c’est le gouvernement représentatif. Ce n’est donc pas à lui qu’il faut s’en prendre des conditions générales du temps que nos générations ont à traverser ; ce n’est pas lui qui a formé le monde politique européen, et ce n’est pas pour le détruire apparemment que s’est dressé de nos jours le génie révolutionnaire.


CHARLES DE REMUSAT.