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« Cher lord,

« Mon cœur est libre, mais ma main dépend de mon père. Un odieux marché, auquel je n’ai pas consenti, me condamne à épouser un Français de ses amis. Venez avec moi à Scioto-Town. Je me jetterai aux genoux du vieux Samuel ; je suis sûre qu’il ne sera point inflexible, et qu’il se rendra à mes prières et à mes larmes.

« Toute à vous, CORA BUTTERFLY. »


— Voilà un joli rôle pour un lord! dit Aberfoïl en recevant cette lettre. Elle va se jeter aux pieds d’un vieux chanteur de psaumes, et elle espère qu’il daignera prendre pour gendre un Kilkenny. Sur ma parole, ces petites filles sont folles. J’ai bien envie de la planter là avec ses scrupules et toute la famille Butterfly. Oui, mais les dollars du père rendront leur antique éclat à l’astre pâlissant des Kilkenny. Et que dira Roquebrune, s’il gagne encore son pari? Cet enragé Canadien se moquera de moi. Il dira partout que j’ai cédé la place au Français. Non, de par tous les diables! — Et sur-le-champ il écrivit la lettre suivante :


« Chère Cora,

« Je respecte et j’admire vos scrupules; mais, croyez-moi, le plus sûr est de nous marier avant de partir. Mon orgueil souffre d’être mis en balance avec ce Français, quel qu’il soit. Je vous attends dans ma voiture avec deux témoins. Le ministre est prévenu. Après la cérémonie, il sera toujours temps d’apaiser votre père. J’ai peine à croire qu’il éprouve une colère bien sérieuse de voir sa fille comtesse de Kilkenny, pairesse d’Ecosse et d’Irlande. Dans cet espoir, je baise vos mains divines.

« Votre dévoué et passionné

GEORGE. »

Cora fit sa toilette, descendit, et trouva dans la voiture le lord et deux témoins qui l’attendaient. L’un des deux était Roquebrune; l’Anglais, parieur loyal, voulait qu’il fût spectateur de son triomphe.

Une heure après, le mariage était célébré. Le lendemain, les deux époux partirent pour Scioto-Town. Roquebrune les avait précédés.

En arrivant, il dit à Bussy : — Cora est comtesse de Kilkenny, et il ne t’en coûtera que mille dollars. — En même temps il lui raconta l’histoire de ce mariage improvisé. Les deux amis éclatèrent de rire, et coururent chez le vieux Samuel Butterfly. Bussy entra d’un air affligé, et demanda la restitution des deux cent mille dollars qui avaient été réservés pour la part du vieux Butterfly et de Cora.

Au récit de cette triste aventure, Samuel se mit dans une violente colère.