Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/782

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ne me raille pas, dit Bussy, j’aime aujourd’hui, et d’un amour sincère. Veux-tu me donner ta sœur en mariage?

— Peste! dit Roquebrune en riant, tu n’es pas dégoûté. Je ne te la donne pas, je te la refuse encore moins. Elle est libre et maîtresse de ses actions.

— Au moins voteras-tu pour moi dans le conseil de famille?

— Si tu es sage... Délivrons-nous d’abord de miss Cora.

— C’est bien aisé, dit Bussy. Je laisse au vieux Samuel et à sa fille les deux cent mille dollars que stipule le traité, et je suis dégagé de tout.

— Oui, dit Roquebrune; mais le vieux Yankee gardera ton argent et se moquera de toi. Voilà une belle invention vraiment! N’as-tu pas honte d’un si pauvre expédient? Quoi! ce coquin t’aura voulu déshonorer, t’aura fait assassiner à moitié, et tu lui laisses pour sa peine deux cent mille dollars?

— Conseille-moi donc, reprit Bussy. J’ai déjà pensé à tuer en duel son brigand de fils.

— Patience. L’idée est bonne, mais chaque chose doit venir en son temps. Je te fournirai une occasion superbe de lui couper la gorge. A présent je veux que Samuel te restitue ton argent, je veux que Cora refuse de t’épouser, et Samuel restituera, et Cora n’épousera point, je te le garantis.

— Comment feras-tu pour la dégoûter de moi?

— Charmante fatuité! Va, j’aurai moins de peine que tu ne crois. Que veut Cora? Un mari et de l’argent. Connais-tu lord George Aberfoïl, comte de Kilkenny, pair d’Ecosse et d’Irlande?

— Point du tout. Qu’est-ce que cela?..

— C’est un grand homme au poil roux, orgueilleux comme Artaban, droit comme un fil à plomb, gros comme un muid, haut comme une cathédrale. Voilà le mari que je destine à Cora.

— Tu le hais donc beaucoup?

— Jusqu’à la mort. Je veux que Cora soit comtesse; c’est ma fantaisie. Cette petite personne me plaît, et j’entends faire sa fortune. Elle est jolie, elle a de l’esprit, de la grâce, elle est égoïste comme son père et souverainement impertinente; ce sera une pairesse accomplie.

— Où est ce lord précieux?

— A New-York. Il a quarante ans et voyage pour son instruction.

— C’est donc un savant?

— Lui! le pauvre homme, je crois, n’a jamais mis le pied dans une bibliothèque; mais c’est un boxeur distingué, un vaillant nageur, un cavalier parfait, et le gentleman de toute l’Europe qui boit le plus longtemps sans tomber sous la table. Il est d’une force herculéenne. Un jour, dans une course de chevaux, son cheval, qu’il montait lui--