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— C’est bien dit, mais il faut prendre des précautions. Malheureusement personne n’est plus intéressé que nous à faire disparaître le Français; le tiers de la ville nous appartient, et s’il réclame son bien, nous paierons à nous seuls la plus forte part de l’indemnité.

— Nous ne paierons rien, mon père. Assemblez un meeting, annoncez que le Français veut déposséder tous les habitans de Scioto. Ameutez le Scioto-Herald, le Scioto-Pioneer, le Morning-Enquirer, tous les journaux dont vous disposez, et quand l’indignation publique sera au comble contre l’étranger, quand la mine sera bien chargée, mettez-y le feu. Ce sera un déchaînement général. S’il n’est pas pendu, il craindra de l’être, et fuira jusqu’en France. De toute façon nous en serons délivrés.

— Peut-être, George-Washington; mais tu peux te tromper dans tes calculs. J’ai vu ce jeune homme de près, et je le crois de force à résister. Nous n’avons pas affaire au premier venu.

— Tant mieux. Le succès n’en est que plus assuré. Le croyez-vous homme à se battre?

— Que sais-je? Les Français ont la tête chaude, surtout en pays étranger. Est-ce que tu voudrais l’appeler en duel?

— Moi, mon père! Point du tout. A quoi bon livrer au hasard ce que la prudence peut assurer? Vous connaissez mes deux témoins?

— Tes deux Irlandais?

— Oui, Jack et Patrick. Pour un dollar par tête, ces drôles prêtent serment et jurent tout ce qu’il me plaît de leur demander.

— Peste ! voilà de précieux coquins !

— N’est-ce pas? Supposez maintenant que je rencontre votre Français dans la rue... A propos, quel est son nom?

— Bussy.

— Où est-il logé?

— A l’hôtel Bennett.

— Bien. Supposez que je le rencontre, — cela se voit tous les jours, — que je lui parle, et qu’il me réponde d’une façon dont je me trouve offensé; tout cela est possible. Supposez encore que, dans un mouvement de colère, je lui tire à bout portant dans la tête deux ou trois coups de revolver... Jack et Patrick témoigneront au besoin qu’il a tiré le premier. N’est-ce pas admirablement combiné?

— Admirablement; mais croyez-moi, George-Washington, défiez-vous des moyens violens. Ce Bussy est peut-être armé. Si vous ne le tuez pas du premier coup, il vous tuera, et le témoignage de Jack et de Patrick dans ce cas ne peut vous servir de rien.

— Soyez sans crainte, cher père. Je tue les hirondelles au vol avec mon revolver; à trois pas, je ne manquerai pas un ennemi.

— Que la bénédiction de Jehovah soit sur vous et sur vos armes, mon cher fils !