Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/740

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’a, pas plus que Venise, l’air d’une ville de commerce. Comme Venise, elle offre partout les traces d’une grandeur, non-seulement municipale, mais aristocratique et politique. On sent qu’un gouvernement, et un gouvernement libre, a passé par là; mais si l’art trouve à Gênes moins qu’à Venise.de beautés à recueillir dans les débris du passé, ces débris, qui méritent à peine ce nom, ont moins souffert à Gênes qu’à Venise de l’injure ou plutôt des malheurs du temps. Bien des monumens de puissance ou de richesse sont debout dans leur splendeur. L’entretien, la restauration, l’embellissement, attestent sur beaucoup de points que Gênes est encore, quoique autrement, florissante. Une partie de la noblesse du livre d’or habite encore dignement ses célèbres palais, et l’on sait qu’enfin la liberté, une liberté plus parfaite et qui un jour sera plus populaire, est venue consoler du passé Gênes l’animée. Il se peut que l’orgueil de cette ville, surnommée la superbe, ne lui permette pas d’estimer encore à leur prix ces dédommagemens que la civilisation lui apporte dans ses derniers progrès. Il en coûte à un état jadis souverain de n’être plus qu’une partie d’un tout, ce tout fût-il heureux et glorieux, et de cesser de figurer en son nom dans l’histoire. On excuse dans l’aristocratie génoise une secrète amertume. Quelle aristocratie n’a pas d’humeur aujourd’hui, excepté l’aristocratie britannique? La génoise ne prendra pas sans effort la place que le destin lui laisse dans un ordre nouveau; mais cet effort, elle le doit faire. On peut aussi passer au peuple de vagues regrets et ce reste d’indépendance querelleuse, héritage de l’esprit républicain du moyen âge; mais la liberté moderne, pas plus que l’ancienne, n’interdit ces mouvemens de défiance qui témoignent de l’existence des partis populaires et forcent à les ménager. Dans cet assemblage d’opinions dont se compose l’esprit public, il en faut d’ombrageuses, et c’est un rôle permis, légal, utile même, que celui de ville d’opposition. Toutefois, comme le ciel est éloigné de la terre, ainsi que parle Montesquieu, l’esprit d’opposition est distant de cette sombre passion des complots de vengeance et de bouleversement qui se croient absous par leur vague tendance vers une régénération inconnue, comme si les rêves étaient des principes, comme si une aspiration était un droit. Il ne semble pas au reste que Gênes soit disposée le moins du monde à échanger la liberté pour une révolution et à sacrifier le vrai à l’impossible. La tentative récente dont elle a été tout à la fois le théâtre et le berceau n’a laissé entrevoir, dans ses diverses sortes de mécontentemens, le germe d’aucune sympathie révolutionnaire, et il serait étrange, je l’avoue, que les utopies socialistes trouvassent accès chez les masses italiennes. Cet esprit de localité qu’on leur reproche, et qui en effet, par ses applications malentendues, a été longtemps