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Rubens. Enfin le Bonifacio, dont la couleur me rappelle Prudhon et même un peu Diaz, a, parmi d’autres bons ouvrages, peint un Jugement de Salomon que recommandent une composition et une expression spirituelles, et une Adoration des Mages où, malgré le laisser-aller du pinceau et l’insuffisance de quelques têtes, l’œil est gagné par l’effet général.

Il y aurait ici plus d’une observation à recueillir pour notre histoire de la peinture de la Vierge. Dès la première salle, on pourrait trouver, dans deux couronnemens de la madone par Jean d’Allemagne et Antoine de Murano (1440), le type encore un peu raide de la Vierge que Bellini saura bientôt reproduire en l’assouplissant, en ajoutant par degrés plus de charme à la pureté. Son style était formé, quand il a peint son excellente madone de la salle de l’Assunta, entourée de saints, — Sébastien avec ses flèches, François avec ses stigmates, — et d’enfans qui jouent du violon. On suivrait cette tête de Marie dans ses progrès ou, si l’on veut, dans son déclin vers une grâce de plus en plus féminine, si l’on comparait soigneusement d’autres madones de Bellini, de Bonifacio, de Carpaccio, de Cima de Conegliano, de Francisco Bissolo, qu’on peut voir dans d’autres salles[1]. Il faudrait pousser la comparaison jusqu’au XVIIe siècle et faire entrer dans le concours les ouvrages de ce Sasso Ferrato qui a été surnommé Madonnino.

Je voudrais éviter des énumérations souvent insipides pour qui n’a pas vu ce qu’elles rappellent. Un voyageur doit toujours se souvenir de l’indifférence avec laquelle il a lu dans les récits des autres les dénombremens de statues et de tableaux dont les noms ne lui retraçaient rien. Pour moi, j’aime jusqu’aux détails sur les tableaux que je ne connais pas, et les Musées de M. Viardot, par exemple, sont une lecture attachante; mais je n’ai rien de ce qui autorise à mettre à cette épreuve la patience du lecteur. Je néglige donc les salles secondaires de l’Académie des Beaux-Arts, même le cabinet des dessins, où il y a des merveilles de Léonard de Vinci et de Raphaël; je laisse de côté le musée Contarini, le musée Renier, les galeries et salles de Palladio, pour m’occuper des deux belles

  1. Sur un grand nombre de madones, — j’en ai remarqué vingt-cinq dans les diverses salles de l’Académie des Beaux-Arts, onze sont de Jean Bellini, — la plus sérieusement belle est le n° 15 de la salle de l’Assunta. La plus agréable, le n° 17 de la pinacothèque Contarini, c’est celle que décrit avec transport M. Gautier dans son Italia. Le n° 58 de la première salle nouvelle est de Paul Véronèse : c’est un tableau qui peut lutter avec la Vierge de Titien de l’église des Frari. Parmi les autres Vierges, il y en a trois du salon des vieux peintres, quatre du Tintoret, deux de Cima, une de Carpaccio, une de Bonifacio, deux de Bissolo. Son n° 63 de la galerie à côté des salles de Palladio ressemble singulièrement au n° 1er  de Jean Bellini dans la cinquième salle de Palladio, et toutes deux ont des rapports avec la Vierge de la Pietà de Michel-Ange à Saint-Pierre de Rome.