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pouvoir absolu. C’est le bon plaisir seul qu’on était accoutumé à craindre. Pourvu que l’autorité, jusque-là illimitée, fût désarmée et entravée, on croyait tout en sûreté. En lui arrachant ses prérogatives, en l’entourant d’autorités rivales, on n’examinait pas si l’on ne séparait pas les pouvoirs constitutionnels d’une manière tellement absolue que l’action en commun leur deviendrait impossible, si leur inégalité engendrerait l’équilibre et si l’équilibre produirait le mouvement, si enfin un système de forces qui se balancent donnerait ou recevrait une impulsion. Le régime représentatif en effet, considéré exclusivement au point de vue de la résistance, peut encore être une sauvegarde ; mais serait-il un gouvernement ?

Pour qu’il mérite ce nom, il faut qu’il satisfasse non-seulement à tous les griefs de l’opprimé, mais à toutes les exigences de l’homme d’état ; il faut que non-seulement il protège l’individu, mais qu’il contente une grande nation. Si les pouvoirs sont clos chacun dans sa sphère, l’un ne sachant faire que des lois, l’autre ne faisant que les exécuter, s’ils se surveillent sans pouvoir s’expliquer, s’ils se résistent sans pouvoir s’entendre, le jeu de la machine aura pour produit l’immobilité ou le choc. Or l’isolement ou le conflit des pouvoirs n’est pas le gouvernement. Ils doivent être distincts et capables d’une certaine résistance, mais placés dans une relation de mutuelle dépendance qui leur fasse une nécessité du concours. Ce concours est la règle, le conflit est l’exception. La discussion publique, le vote libre, la responsabilité, la dissolution, la réélection régularisent le concours et mettent un terme au conflit. La tribune prépare et la presse éclaire la décision de la raison publique, qui prononce en dernier ressort : par là surtout une société peut se dire libre, puisqu’elle n’est gouvernée que comme elle le veut. Et cette intervention du pays peut rarement s’exercer à son détriment, parce qu’elle est assujettie à des formalités et à des lenteurs qui donnent à la vérité le temps et le moyen de se faire jour. Puis enfin, même quand le pays a jugé, on continue à plaider devant lui, et il peut souvent rapporter sa sentence. Ainsi le système représentatif, sans cesser d’offrir des armes de défense contre tout arbitraire, devient un appareil de pouvoir, et la liberté même engendre le gouvernement. C’est là ce qu’on a plus particulièrement compris sous le nom de gouvernement parlementaire.

M. Duvergier de Hauranne l’a compris ainsi, lorsqu’il a inscrit ce nom même au titre de son ouvrage. À quel point et par quelle voie a-t-on, depuis l’origine de la révolution, marché à la réalisation d’un ordre de choses qu’il regarde non-seulement comme excellent en soi, mais comme le seul mode praticable d’instituer la liberté politique ? Si l’on s’en est écarté, pour quelles raisons ? Si l’on s’en