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çaise, mon cher et noble ami M. Delaroche, a laissé un petit tableau naguère admiré du public, qui représente un Ensevelissement du Sauveur. La Vierge et tous les personnages sont à genoux ou en contemplation devant les restes sacrés. Comme j’admirais ce bel ouvrage dans son atelier : « Croyez-moi, me dit-il vivement, c’est un grand bonheur pour un artiste que de trouver un sujet dont tous les personnages doivent être immobiles. » Le Saint Pierre de Titien est une victoire remportée sur la difficulté qui résulte des conditions tout opposées. Le saint qui tombe, le meurtrier qui le frappe, le moine qui s’enfuit, et jusqu’aux petits anges qui voltigent au ciel, tout cela est dans un mouvement très vif et merveilleusement rendu. Certaines qualités techniques sont ici portées au plus haut degré : le dessin est vigoureux, les raccourcis naturels, la composition excellente dans les données acceptées par le peintre. Néanmoins ces données n’admettaient pas un certain genre d’intérêt ni de beauté; les têtes sont communes, et le sujet prêtait peu à cette richesse éblouissante qui caractérise la peinture de Titien. J’aime mieux sa madone des Frari.

Santa Maria della Salute est cette brillante et vaste église dans le goût de Saint-Paul de Londres, et qui, placée à l’entrée du Grand-Canal, est connue de tous ceux qui ont regardé au Louvre le plus important des Canaletti. Elle consiste principalement en deux grands dômes consécutifs et inégaux, dont l’un couvre une nef octogone, l’autre un chœur circulaire, et elle serait aussi belle qu’elle est grandiose, si l’architecte Longhena avait mis plus de largeur et de proportion, montré plus de goût et de pureté dans tout ce qui est accessoire à cette disposition principale. Elle communique avec un joli séminaire, qui a plutôt l’air d’un lycée, par une sacristie ornée de beaux Tintorets et d’un Saint Marc de Titien, qui va de pair avec ses chefs-d’œuvre. On peut ranger avec la Salute Saint-George le Majeur dans l’île qui porte son nom, et Il Redentore dans celle de la Giudecca (della Zuecca) ; mais ces deux églises, toutes deux de Palladio et beaucoup plus correctes, sont des modèles dans le genre dont la Salute signale le déclin. Saint-George, d’une blancheur lumineuse, nu et vide, m’a rappelé Sainte-Justine de Padoue. Comme celle-ci, il est désert, parce qu’il dépendait d’un couvent que Napoléon a fermé. L’église du Rédempteur, réputée le meilleur édifice de Palladio, est encore une construction un peu froide, mais noble, et qui satisfait, si elle ne touche. Elle est, comme les précédentes, d’une pierre blanche, qui a beaucoup d’éclat, et, malgré la sévérité du style, il lui allait bien d’être remplie de fleurs comme je l’ai vue le jour de la Pentecôte. Elle est annexée à un couvent de capucins, et l’on en voyait quelques-uns errer seuls, s’agenouiller dans quelque chapelle, ou se prosterner en passant pour baiser le pavé du maître--