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ne peut être qu’en s’appuyant sur ce qu’il y a d’éternellement juste et vrai dans nos idées. »

« Ils sont là quelques-uns, dit-il, qui ont décidé que le drapeau blanc a fait son temps, » que M. Le comte de Chambord doit adopter le drapeau tricolore pour gagner l’armée, et que, sans cela, point de fusion. M. Muller, dans son zèle pour la pureté de la tradition dont il est le vengeur, ne l’entend pas ainsi : il ne veut pas que M. Le comte de Chambord abandonne le glorieux drapeau de Louis XIV, et quant à M. Le comte de Paris, il faut qu’il l’adopte aussi lui-même, s’il veut régner un jour, afin de rompre tout pacte avec la révolution. — Mais si c’est impossible? si la France, si l’armée ne veulent pas? — Patience, il y a une autre alternative. Si vous voulez absolument le drapeau tricolore, « voici l’empire, dit-il, sachez vous en contenter. Si la révolution a produit quelque chose de grand, c’est l’empire; si les trois couleurs ont du prestige dans les masses, c’est parce qu’elles sont les couleurs de l’empire. » C’est parce qu’il se rattache aux souvenirs de Marengo, d’Austerlitz, de Wagram, de Sébastopol, c’est parce qu’il appartient à l’épopée impériale, que l’armée est fière du drapeau tricolore. Voilà donc la dynastie bourbonienne acculée par M. Muller dans une périlleuse impasse ! Abattre le drapeau de Marengo, d’Austerlitz, de Sébastopol, serait impossible assurément, et cependant elle ne peut revenir qu’à cette condition ; M. Muller le veut ainsi. Qu’elle se tire de là maintenant, si elle peut !

Quel est donc enfin, selon l’auteur, le rôle que les légitimistes doivent aujourd’hui remplir dans l’état? Ils doivent, on l’a déjà dit, étendre, élargir l’idée comprise sous ce mot trop étroit de légitimité. Ce mot ainsi élargi rattachera le culte de la royauté héréditaire à une idée de justice universelle, à une raison plus haute que des préférences dynastiques ou des intérêts politiques, à un sentiment élevé du devoir. La légitimité manquerait à son titre, si elle limitait son action à une question de forme de gouvernement. Il y a une patrie à laquelle chacun doit son sang; il y a le foyer, la famille, le clocher, la commune, des intérêts groupés à l’ombre de la même église, qui doivent être administrés avec sagesse et par les gens honnêtes et capables. Le bonheur d’une population peut dépendre du choix d’un maire, de la composition d’un conseil municipal. Ensuite au-dessus de la commune il y a l’état, les fonctions publiques, la représentation nationale, qui vote sur l’impôt, la propriété, la liberté, la religion. Mais ici tout à coup l’auteur est saisi d’une pensée qui le trouble. Il y a un serment! Faut-il prêter le serment? Comment tout cela se conciliera-t-il avec la fidélité « vouée à un principe proscrit? » A Dieu ne plaise qu’on soit sans égard pour les scrupules de la conscience humaine ! « Le respect pour la foi jurée compte pour quelque chose dans nos devoirs, et les exemples de loyauté, d’honneur et de dévouement donnés à un pays ne sont pas le moins important service qu’on puisse lui rendre. » En 1830, selon lui, les légitimistes firent bien, comme parti, d’émigrer à l’intérieur; mais il y a pour eux une distinction à faire entre le gouvernement actuel de la France et le régime de juillet. Sans vouloir intervenir dans les délibérations intérieures de l’homme de bien, M. Muller se contente d’affirmer « qu’après avoir payé notre dette à la cause du vieux droit et pleuré sur les ruines de l’édifice qui durant des siècles abrita nos pères, nous ne sommes pas quittes envers la société. » Il n’en conclut pas