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tempéré. Dans aucun des deux pays, le breuvage, pour parler comme Platon, n’est versé tout pur dans la coupe. En tout cas, ces deux gouvernemens sont les deux points extrêmes entre lesquels doit osciller toute sagesse politique libérale qui ne veut pas abandonner le terrain connu, et au premier abord, avant tout examen, il semble que sur ce sol de l’Europe jonché des monumens ou tout au moins des débris du passé, c’est vers l’extrême britannique que doit incliner la balance plutôt que vers l’extrême américain.

Ne se rapprocher ni de l’un ni de l’autre, si toutefois on le peut, c’est se placer volontairement hors de l’expérience. « Point d’Amérique ! » nous criait, je me le rappelle, un rassemblement qui bordait la haie devant la grille du Corps-Législatif un jour que nous nous rendions à la constituante de 1848. C’était crier : « Vive l’inconnu ! » Mais à ceux-là qui ne veulent de la république qu’à la condition qu’elle réalise l’imaginaire, il serait encore bon de dire que même la république devrait, dans l’intérêt de la liberté comme de sa durée, satisfaire à certaines conditions essentielles du gouvernement représentatif, et à ceux beaucoup plus nombreux qui tiennent compte de l’expérience, et qui admettent ou admettraient les analogues de la république américaine et bien plus encore de la monarchie anglaise, il importe de représenter avec netteté et avec force quelles sont ces conditions essentielles de la liberté et du gouvernement. Avant de suivre M. Duvergier de Hauranne dans l’accomplissement de cette tâche, rappelons qu’il ne suffit pas, pour qu’un gouvernement soit réellement tempéré (c’est le mot de Cicéron), que quelques formalités insignifiantes en altèrent la pureté apparente, et régularisent extérieurement l’action d’une volonté unique, sans contrôle et sans contre-poids. Les garanties doivent être sérieuses, consistantes, et telles que, dans le cas d’un conflit, la décision suprême, car il en faut bien une, rencontre des obstacles et subisse des délais qui l’obligent à être motivée, réfléchie, discutée. Cependant la société n’aurait pas la conscience d’être libre, et ne le serait point par conséquent, si tout ce mécanisme n’existait qu’à huis clos, et si ces résistances opposées entre elles étaient enfermées dans l’intérieur du gouvernement. Il faut qu’elle-même prenne part au mouvement constitutionnel par l’intermédiaire de la représentation, qu’elle entre dans le gouvernement par l’élection, et que la décision définitive soit inspirée ou ratifiée par le sentiment public. Enfin, malgré ce système d’organisation la liberté des personnes ne serait pas assurée, si certains droits ne leur étaient garantis par des lois fondamentales, et mis hors de l’atteinte des pouvoirs politiques par une organisation indépendante de la justice. Tout cet ensemble d’institutions a donc besoin, pour être efficace et solide, de la publicité