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vain mot, et de tous les intérêts, l’intérêt de la bourgeoisie est le plus prêt à se confondre avec l’intérêt de l’état : elle est vraiment le public, et c’est pour le public et par lui que l’état vit et se conserve ; mais souvent menacé, humilié, exploité ou spolié par les ordres privilégiés, le peuple, représenté par les classes moyennes ; a couru au plus pressé. Il a cherché un appui dans le pouvoir royal, lui a demandé protection plutôt qu’indépendance, s’attachant ainsi à l’égalité plus qu’à la liberté. S’il y a un pays où l’aristocratie et les communes aient de bonne heure formé une solide alliance, c’est qu’un même esprit d’indépendance d’origine germaine les aura rapprochées, c’est que le vaincu aura été du même sang que le vainqueur, et effectivement en Angleterre le Normand et le Saxon tiennent à la même race ; aussi là le droit de chacun est-il cher à tous.

Dans la composition sociale de la plupart des nations du moyen âge, les justes idées de liberté politique avaient donc de grands obstacles à vaincre, et les places sont rares en Europe où du sein même des mœurs nationales soit sorti un régime tant soit peu protecteur des droits du citoyen. Partout il a subsisté des débris ou des traces de toutes les garanties inventées dans l’ancien monde contre le pouvoir arbitraire ; mais bien peu de cités avaient su tirer de là un système efficace de libertés publiques. Quant aux sages théories de l’antiquité, elles avaient disparu, quoiqu’elles n’eussent point péri. Le génie des anciens, ce sauveur du monde moderne, s’était caché dans l’ombre, mais il en pouvait sortir. La poussière des siècles, comme une cendre conservatrice, entretenait le feu dont elle éteignait la flamme ; il ne fallait que remuer ces cendres du passé pour en faire jaillir des étincelles. Dès le XIIIe siècle, saint Thomas d’Aquin et Gilles de Rome exhumaient ces nobles maximes d’autorité limitée, de gouvernement mixte, et l’idée du pouvoir législatif délibérant. Dans la triste condition des sociétés contemporaines, la liberté ou seulement la justice ne pouvait guère se réaliser par leur mouvement spontané. Peu de nations portaient en elles-mêmes le principe de leur affranchissement : elles ne trouvaient guère dans leurs souvenirs de titres à revendiquer, de droits à faire revivre ; elles avaient pour la plupart à concevoir lentement, à apprendre ce qui leur était dû. De là le besoin d’être éclairées par un flambeau qu’elles n’auraient pas su allumer elles-mêmes, de recevoir par l’enseignement du dehors ce qu’elles ne pouvaient tenir de leurs traditions intimes. C’est ce qui expliqué le grand rôle des lettres dans le monde moderne : elles ont fait autant et plus pour l’émancipation des peuples que les mœurs, les lois et les sentimens héréditaires. La société a presque tout reçu de l’esprit humain.

Aussi voyons-nous, et surtout à dater du XVe siècle, se produire