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ques mots à peine d’un mépris affecté que l’auteur mérite peut-être, — ceci, nous ne le disons pas, car nous devons l’ignorer, — mais que son roman incorrect, désordonné, fiévreux, impur, ne mérite certainement pas; car enfin, tout impur, tout fiévreux, tout désordonné, tout incorrect qu’il est, et encore que l’auteur ne nous semble avoir bien mérité ni de la morale, ni du goût, ni de la littérature saine, élevée, consolante, ni même très probablement de son éditeur, encore faut-il lui reconnaître une valeur exceptionnelle que sauront apprécier quelques artistes et quelques penseurs.

Pour eux, les écrits de M. Whitty sont de ceux qu’on met à part, qui tranchent sur le commun des productions littéraires, autant par leurs singuliers défauts que par leurs qualités singulières. Ces écrits irritent, et l’irritation va même quelquefois jusqu’au dégoût; mais ils font rêver, ils sont très suggestifs, pour nous servir encore d’un mot anglais : on ne les lit pas avec cette tranquillité, cette insouciance où vous laisse une ingénieuse et banale médiocrité. La pensée est audacieuse, la forme vive, la logique pressante. Vous êtes tenté de croiser le fer avec ce délié tireur. Prenez garde, vous ne l’essaierez pas impunément, et le fleuret n’est pas toujours boutonné. Malheureusement, s’il a toutes les qualités de l’escrime, l’auteur n’a guère que celles-là. Toujours agressif, constamment ironique, éternellement moqueur et malveillant, il ne comprend pas, ce qu’un sentiment plus développé de l’art lui révélerait, que les contrastes et les repos sont indispensables, que la monotonie peut se rencontrer là où on est le moins tenté de la craindre, dans la satire des hommes et des choses faite par un homme d’esprit et de ressources. Henri Heine, par exemple, n’est-il pas quelquefois monotone? Et cependant, avec ses doux Lieder, ses caprices enfantins, joufflus et roses, ses rêves fantastiques dont la pâleur est quelquefois celle d’une ondine morte, ses attendrissemens profonds, — qui durent une minute à la vérité, — Henri Heine est bien autrement varié que M. Whitty. Amer et caustique, — et si amer, si caustique qu’il puisse être, — un tempérament littéraire a sa place dans ce monde. Bien des vices qui échappent à toute autre justice, bien des absurdités quasi criminelles qui autrement resteraient impunies, beaucoup de sots et de sottises, bons à mettre au pilori, bonnes à stigmatiser, demandent à passer par ce crayon brûlant qu’on appelle « la pierre infernale; » mais, dans l’intérêt même de votre satire, afin qu’elle captive mieux l’esprit, afin qu’elle ne le harasse et ne le décourage pas à la longue, il faut savoir la tempérer, l’amalgamer, l’assouplir. Pour ne parler que des modèles qu’il a sous les yeux, et qui certainement ont eu leur influence sur lui, Dickens, Thackeray, — tous deux satiriques, parfois acerbes, tous