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« — Vous n’êtes, ma foi, pas changé, monsieur Dwyorts... Le diable m’emporte si vous n’êtes pas resté le même! répondit l’autre, prenant la seule chaise libre à côté du bureau.

« — Votre affaire, monsieur? On me dit que vous avez été employé dans la maison. Comment vous nommez-vous? Je n’ai pas souvenir de vous. Ma mémoire a un peu faibli ces derniers temps.

« — Ah!... c’est que vous êtes diablement vieux, oui!

« — Votre affaire, monsieur? Votre nom?

« — Wortley, John Wortley, esquire.

« — Wortley?... J’ai eu un caissier de ce nom; mais il était plus âgé que vous... Et il y a longtemps.

« — Oui... Voici dix ans que vous l’avez déporté.

« — Je ne l’ai point déporté. Je l’ai dénoncé. La police s’en est chargée, et je n’ai plus songé à lui. Je sais seulement que l’argent détourné ne m’est jamais rentré... Ah! voici mes souvenirs qui reviennent!... Vous êtes son fils. Vous aviez de l’intelligence. Je vous gardai après son départ. Votre mère était pauvre... Oui, je me souviens...

« — Pauvre?... Oui, digne vieillard, elle n’avait pas de quoi mener grand train avec les douze shillings que je lui gagnais chaque semaine. Les ouvriers, et entre autres votre neveu, y ajoutaient bien par-ci par-là quelque chose; mais elle était pauvre cependant, et si pauvre qu’elle en est morte... Vous en souvenez-vous, de ceci !

« — Ce n’était pas mon affaire... Mais nous bavardons... Quel objet vous amène?... Dépêchez-vous. Je suis occupé.

« — Je ne serai pas long. Quand elle mourut, j’avais vingt ans. Je pris passage à bord d’un vaisseau. J’allai en Australie, où je vis mon père. Je le vis mourir, lui aussi. Sur son lit de mort, il me jura que cet argent, il ne l’avait pas volé. Cela vous est égal, à vous. Pas à moi... Voyons, ne vous impatientez pas. Ce sera bientôt fini. J’ai fait le commerce, j’ai des écus. Je vous rapporte cet argent, le capital et les intérêts jusqu’au 1er janvier dernier. Le voici. Dix-huit cent neuf livres, digne vieillard. Donnez-moi un reçu, et puis bonjour... Vous réglerez le reste avec mon père, quand vous vous rencontrerez dans l’autre monde.

« — Histoires que tout cela!... Vous me rapportez cet argent, parce que votre père l’avait pris, et lui-même vous l’aura dit... Histoires, histoires!... Ne m’en contez pas, jeune homme!... Vous êtes un niais... L’argent était perdu, et je m’en passais fort bien. Vous me le rendez, je le prends... Appuyez sur ce timbre, je vous prie... Monsieur Quills, un reçu de dix-huit cent neuf livres!... Emmenez ce jeune homme... Passez la somme au recouvrement des mauvaises créances!...

« — ... Quelle vieille brute!... s’écria Wortley quand la porte de communication fut retombée derrière lui... »

Ne trouve-t-on pas ce dialogue assez vif et assez bien mené? Ne se sent-on pas quelque amitié pour Jack Wortley? Au fait, avec la pauvre Nea, c’est à peu près le seul personnage un peu sympathique de cet inflexible récit. Un bohémien cependant. On ne sait trop