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de sa voix cassée, mais brève et sinistre, ils se mangeraient, on est tenté de le croire, avant de toucher à l’oie sacramentelle qui fait le fond de ce repas biblique.

Un autre Dwyorts, John, fils de Jacob, est établi à Liverpool, où il a fait une fortune qu’on dit immense. Son père est-il, comme on le prétend, jaloux de cette prospérité? Peut-être oui, peut-être non. La question demeure indécise; mais ce qui ne fait pas question, c’est que, dans aucune circonstance, l’heureux fils, s’il devenait malheureux, n’aurait à compter sur l’assistance paternelle. Tout au plus l’admettrait-on à travailler dans les bureaux de la manufacture, comme Nick Dwyorts, — neveu de Jacob, — lequel depuis vingt ans travaille à titre de contre-maître dans les ateliers. — « Oui, dit ironiquement un des frères, il y a vingt ans qu’il pioche, et il a une famille nombreuse... Aussi aurait-il obtenu de l’avancement, n’était sa parenté avec papa. »

Mais John Dwyorts n’en est pas Là pour le moment. Ses vaisseaux encombrent les ports d’Amérique; il est engagé dans les railways du Canada. Son nom retentit à tous les échos de la spéculation. Et le voici justement qui marie son fils, — le beau Diego Dwyorts, — à une fille de noble race, à la plus jeune des miss Slumberton. Comment donc! lord Slumberton, un pair du royaume, — et il a eu jadis tout comme un autre son petit ministère, — lord Slumberton, que le Colonial-Office envoie comme gouverneur dans l’île de Saccharinia, donner ainsi sa fille au fils du premier venu?... La donner? Pour qui le prenez-vous? Il la vend, ma foi! bel et bien. En deux mots, voici le fait. Lord Slumberton, avec ses dehors imposans, est un pauvre homme : c’est de plus un homme pauvre, nonobstant son ministère qui date de loin, sa pairie qui ne rapporte rien, et ses terres où l’hypothèque pousse plus vite que les bois. Un matin, il a eu envie de s’enrichir. John Dwyorts s’est trouvé à cette heure fatale sur le chemin de ce malheureux. Ils se sont embarqués ensemble dans une vaste et belle opération, comme elles le sont toutes au début. Quelques mois plus tard, lord Slumberton a reçu ses comptes de liquidation, qui le constituent en perte de trente mille livres sterling et débiteur de la maison Dwyorts, laquelle en a fait l’avance. Puis, à la veille du départ pour Saccharinia, lord Slumberton a vu se dresser Dwyorts devant lui, et alors entre le plébéien créancier et le patricien débiteur un dialogue s’est établi, rapide et net : — J’ai besoin démon argent. Pouvez-vous me payer? — Pas en ce moment, mais... — Je n’ai pas le temps d’attendre. Trouvez-moi ces trente mille livres sterling, ou vous ne partirez pas. — L’argent, je ne l’ai pas... Accepterez-vous l’engagement de mes filles sur leurs droits propres? — Non,... mais j’accepterai une de vos filles en personne.