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son influence d’homme d’état. Tous ses lieutenans, sans exception, étaient de second ordre. Ceux de Napoléon étaient de premier. Or Wellington n’a jamais pris ombrage de lord Hardinge, et jamais lord Hardinge n’a pu se poser en rival sur le chemin de son ancien chef. »


Ceci dit, M. Whitty rend pleine justice aux services de lord Hardinge comme gouverneur-général de l’Inde. Il rappelle cette terrible bataille de Meanee où l’énergie anglaise surmonta les chances les plus contraires, et la noble conduite du gouverneur-général qui, parfaitement libre de ne compromettre ni sa personne, ni sa renommée, ni ses hautes fonctions, puisqu’il n’avait pas le commandement des troupes, voulut combattre au premier rang, mena son fils avec lui sous le feu, gagna la bataille... et en laissa l’honneur à un autre.


« Mais enfin lord Hardinge a soixante-huit ans, s’écrie-t-il, et lorsqu’il en avait quarante, lorsqu’il était dans toute la vigueur physique et morale de cet âge culminant, personne ne l’eût jugé capable de remplir le poste où on le voit aujourd’hui, même alors que Wellington n’eût pas existé. Ceci n’est-il pas matière à sérieuses réflexions?... La jeunesse, c’est le génie, c’est l’ardeur, c’est la force. Un vieillard qui agit est un contre-sens, puisque l’activité lui manque. Rien d’injurieux dans cette remarque, ce nous semble; on n’insulte pas un homme en lui disant que sa barbe grisonne... L’expérience n’a ses avantages que lorsque les choses peuvent se faire par routine. Dans les débats devant Troie, Nestor parlait plus sagement que personne; mais ce fut Achille, un jeune casse-cou, présomptueux et téméraire, qui prit la ville d’assaut. On va nous dire qu’hier encore l’Autriche a été sauvée par l’octogénaire Radetsky; mais l’Autriche fut jadis perdue par Wurmser, autre octogénaire, que battit un capitaine de trente ans, à la tête de soldats qui n’avaient ni souliers ni eau-de-vie... »


Ou nous nous trompons fort, ou l’on a déjà reconnu, dans les pages que nous venons de citer presque au hasard, une intelligence exercée, alerte, qui sait choisir son terrain, diriger ses attaques, trouver le côté faible de l’ennemi, le frapper au cœur à travers les mailles de la cuirasse la mieux trempée. Encore n’avons-nous pas voulu jusqu’ici, — on comprendra notre réserve, — le suivre sur le terrain des personnalités, où il est passé maître. Telle de ses esquisses parlementaires est un petit chef-d’œuvre de malice. Nous indiquerons celle où il traduit les impressions d’un des nouveaux membres, qui vers minuit quitte le salon d’une belle dame, saute dans son brougham, et, traversant les rues obscures et froides, court au club se renseigner sur ce qui se passe à la chambre. Des signes certains lui révèlent qu’il s’y passe en effet quelque chose; il s’élance de nouveau, traverse Palace-Yard, encombré d’équipages de toute sorte, arrive sous les vestibules silencieux et splendides. Sur sa route, il n’a