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transforment à l’usage spécial des moines de ce couvent. Couvent, ai-je dit? Non; la métaphore est moins catholique et moins révérencieuse. C’est un théâtre avec ses coulisses, son foyer, ses régisseurs, ses artifices de mise en scène, ou bien encore c’est un club en dehors de tout, n’existant que pour lui-même, ayant ses meneurs, ses favoris, ses préjugés à part, et jusqu’à son idiome incompris ailleurs. Pour y briller, pour y prospérer, n’allez pas croire que le talent suffise, n’allez pas croire qu’il soit indispensable. Une intelligence supérieure y est dépaysée comme une élocution trop élégante, comme une manière de voir trop philosophique. A l’aspect d’un homme et au premier coup d’œil, un examinateur expert vous dira s’il a chance de succès parlementaire. Il faut une certaine construction physique, sans laquelle tout le reste échoue. La taille et la circonférence ne sont pas déterminées, non; mais il faut absolument, il faut de rigueur une quantité donnée de vitalité résistante qui se traduit à l’œil par le développement du crâne, l’épaisseur du cou, l’ampleur du « coffre, » comme disent les Anglais, toujours marchands, ou du « buste, » comme nous disons, un peu plus artistes. Bref, « un peu d’animalisme[1] » est indispensable, M. Whitty nous l’assure, toutes les fois qu’il s’agit de parler à l’intelligence d’une masse d’hommes. Ceci est peut-être vrai en Angleterre. Et cependant lord John Russel), un des grands personnages parlementaires, n’a rien de trop positivement athlétique; mais probablement, sous sa frêle enveloppe, il y a cette vigueur latente, ce pluck exigé par notre satirique.

Il ne suffit pas d’avoir le pluck. Il faut le consacrer tout entier au parlement, si l’on veut y faire figure. On y grandit en raison de son travail, et quel travail! Il absorbe la vie entière. Voyez M. Disraeli par exemple. Il arrive, précédé d’une réputation littéraire et se fiant à elle; son début est malheureux, presque ridicule. Tout au plus s’abstient-on de siffler cet orateur novice qui a cru entrer de plain-pied dans la terrible arène; son orgueil froissé se concentre : il jette à ces hommes qui le huent un regard indigné. — Vous m’écouterez un jour, leur crie-t-il à travers le tumulte, et pendant douze sessions consécutives il travaille à remonter péniblement la hauteur d’où on l’a précipité. Après ces longues années d’un labeur sans trêve, son jour vient. Sir Robert Peel tombe dans la disgrâce du parti tory. Qui se charge alors de fulminer les colères longtemps contenues, de signaler la prétendue trahison? Qui s’indigne, qui raille, qui traîne dans la boue le chef abandonné, le guide dont on ne veut plus, le ministre qu’il faut renverser et remplacer? Qui? Le maladroit novice, passé vétéran et maître passé dans ce langage qu’il balbutiait naguère.

  1. A certain animalism is indispensable, etc.