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gaces est arrivé. L’enseignement que devait donner la presse n’a pas pénétré dans les couches inférieures ; il n’y a que l’armée qui en ait profité, et elle s’en est fait une arme. Si l’on veut avoir une idée de la liberté dont jouissait la presse dans l’Inde, on n’a qu’à lire ce simple fragment qui a été publié dans un journal indigène, au plus fort de la révolte et sous la protection de la législation anglaise : « O Seigneur ! disait ce journal, les Anglais ont eu une preuve de ta puissance. Hier ils étaient tout-puissans, aujourd’hui ils sont noyés dans le sang et prennent la fuite… Laissant leurs palanquins et leurs chars, ils se sont sauvés dans les jongles sans chapeaux et sans bottes… O Anglais ! vous ne vous doutiez guère que le roi de Delhi remonterait sur son trône avec toute la pompe des Nadir, des Baber et des Timour ?… »

Que l’on veuille bien se transporter de l’Inde anglaise dans l’Afrique française, et se demander quelle attitude prendrait le maréchal gouverneur de l’Algérie en face d’une démonstration de ce genre faite par des indigènes ? Nous croyons que la procédure ne serait pas longue, nous croyons même que nous n’avons pas besoin d’aller en Afrique pour chercher des points de comparaison. Mais, et voici où l’on retrouve l’admirable respect des Anglais pour leurs institutions, le gouverneur-général de l’Inde, en suspendant momentanément la liberté de la presse, n’a pas cru pouvoir se dispenser de s’en justifier, et il a longuement exposé les raisons de force majeure qui le déterminaient à prendre cette mesure. Au lieu de prendre le rôle d’accusateur public, le gouvernement prend lui-même celui d’accusé et demande pardon au pays de porter la main sur une de ses franchises. Nous ne croyons pas qu’un plus bel hommage puisse être rendu par un gouvernement à la légalité et à la liberté.

La crise formidable que traverse l’Angleterre, certainement une des plus graves de son histoire, a excité des émotions de diverse nature dans les autres pays ; cependant, il ne faut pas que les Anglais s’y trompent, le sentiment qui domine est celui d’une satisfaction mal déguisée. L’opinion populaire paie une dette nécessaire à l’humanité et aux plus simples convenances en réprouvant les excès commis par les révoltés ; mais, ce devoir officiel une fois rempli, elle ne dissimule pas son contentement. Il faut que le peuple anglais se dise bien qu’il n’est pas aimé dans le monde ; il est trop personnel pour que ses malheurs puissent être pour les autres peuples des malheurs de famille, et il a eu trop de bonheur dans l’histoire pour n’avoir pas provoqué une immense envie. Il y a des distinctions à faire parmi ceux qui se réjouissent des événemens actuels. Le parti catholique, en France et sur tout le continent, voit dans le coup qui frappe l’Angleterre le châtiment de l’hérésie, et célèbre comme des