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de fois arrive-t-il que l’homme ne délibère qu’entre des devoirs ! Or, comme le gouvernement s’applique à des hommes et qu’il est composé d’hommes, comme il se résout essentiellement en déterminations humaines influant sur d’autres déterminations humaines, comment se pourrait-il que le gouvernement ne fût pas une chose très compliquée, et que l’instrument propre à introduire l’accord, la mesure et la régularité entre tant de forces diverses et libres fût une machine toute simple ? Ce qu’on peut appeler un gouvernement simple, c’est la monarchie, c’est la démocratie pure, en d’autres termes la société gouvernée immédiatement par une seule volonté, celle d’un homme ou celle du grand nombre. Vers cette extrémité gravitent tous les systèmes absolus.

Il y a longtemps que les différens systèmes absolus auxquels le gouvernement peut être ramené ont été classés et comparés. Le plus ancien des historiens de la Grèce nous a conservé dans un récit empreint d’une primitive sagesse les élémens du débat qui s’éleva cinq cents ans avant notre ère, lorsqu’après l’extinction de la race de Cyrus, l’empire de la Perse fut arraché par sept conjurés à l’usurpation des mages. Les vainqueurs, qui auraient pu chacun aspirer au souverain pouvoir, délibérèrent entre eux sur le gouvernement qu’ils devaient donner à leur pays. Otanès plaida pour la démocratie, Mégabyse pour l’oligarchie, Darius pour la monarchie. Les quatre autres, en bons Asiatiques, furent de l’avis de Darius, et le sort, aidé par la ruse, donna la couronne à ce dernier. Dans ce récit, dont Hérodote ne veut pas que l’on suspecte l’authenticité, et qui étonnera des Grecs, dit-il, on voit comme un abrégé de toute une histoire de révolutions politiques : une dynastie fondée par un grand homme et qui périt, son pouvoir usurpé par une caste ; le renversement de ce pouvoir opéré par la force, grâce à quelques hommes indépendans, capables et ambitieux ; les trois systèmes de gouvernement présentés dans leur pureté et mis aux prises dans un débat solennel, le préjugé et la crainte de l’anarchie terminant la vacance du gouvernement par le despotisme d’un seul, le hasard et la ruse faisant le reste, et le défenseur du gouvernement de l’égalité qu’il appelait l’isonomie, Otanès, déclarant qu’il renonçait à concourir pour la royauté, et que pour prix de sa retraite il ne demandait pour lui et les siens que le droit à perpétuité de n’obéir à personne ; ce qui lui fut accordé, dit l’historien : sa maison seule dans toute la Perse jouit encore d’une pleine liberté, sans autre condition que de ne pas violer les lois.

J’honore les Otanès partout où je les rencontre, et je ne leur garantis pas qu’ils obtiendront en tout lieu ce que leur concéda le despotisme persan, le privilège de s’isoler et de s’abstenir au milieu de