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teurs les plus actifs de ces bruits sourds qui annonçaient la chute prochaine de la puissance anglaise, c’est ce dont on ne devrait point s’étonner, quand même on pourrait le prouver. Après tout, la Russie eût été dans son droit et eût joué son jeu, et l’Angleterre eût été dans une position critique, si la guerre de Perse et l’insurrection de l’Inde, au lieu de partir comme des fusées après le feu d’artifice, avaient éclaté simultanément avec la guerre de Crimée.

Il y avait déjà longtemps que l’esprit de révolte se trahissait par des signes nombreux et certains, qui auraient frappé les yeux des Anglais, s’ils avaient voulu les ouvrir. Nous savons bien qu’on trouve toujours beaucoup de prophètes le lendemain des événemens ; combien d’entre nous n’ont-ils pas découvert en 1849 les causes de la révolution de 1848 ! Aussi assistons-nous en ce moment à la révélation rétrospective d’une masse de symptômes petits et grands qui auraient dû dénoncer l’imminente révolte de l’Inde. Il y avait eu, dans les derniers temps, des assassinats et des incendies répétés. À Calcutta, on avait reçu plusieurs fois les avis d’une insurrection prochaine ; des Hindous convertis avaient donné l’alarme aux chrétiens. Quiconque se souvient des signes qui précédaient autrefois dans Paris l’explosion d’une émeute, les promenades d’ouvriers, les regards provocateurs et les sourires insultans qui accueillaient les habits noirs, se fera une idée de l’aspect que présentaient les centres européens de l’Inde. Les domestiques indigènes parlaient tout haut devant les enfans et leur disaient que bientôt toutes les maisons appartiendraient à la race du sol. Les mahométans et les Hindous avaient un système de télégraphie secrète dont le mystère échappait complètement à leurs maîtres. Il y avait plus d’un an que les conspirateurs avaient commencé à mettre en circulation les chupattis ou gâteaux de froment qui servent de signe aux initiés. Un messager apporte à un chef de village six gâteaux, et lui dit : « Faites-en six autres, et envoyez-les au prochain village. » Ainsi fait-il, et la chaîne se continue, et le mot d’ordre fait son chemin. D’où est-il parti ? Nul ne le sait. Une autre fois c’est un messager qui apporte au chef d’un régiment une fleur de lotus ; la fleur passe de main en main ; chaque soldat la prend, la regarde et la passe à son voisin sans dire un mot, et quand elle est arrivée au dernier homme de la troupe, celui-ci disparaît avec elle et va la porter à un autre régiment. La fleur de lotus a ainsi, depuis un an, fait le tour de toute l’armée indienne, et une circonstance importante, qui a été signalée en même temps, c’est que les officiers indigènes, dans cette dernière année, avaient refusé tout congé.

L’aveuglement des Anglais en face de tous les avertissemens ne peut s’expliquer que par le mépris qu’ils avaient pour la race indi-