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les Anglais à coups de canon, en fait un grand carnage et détruit leur flotte. Pendant ce temps les Anglais de Calcutta, qui avaient distribué les cartouches aux Hindous, et qui attendaient des renforts pour réprimer l’insurrection, apprennent la destruction de leur armée de secours, et le gouverneur-général se couvre la tête de cendres.

Cette composition est une parabole et par conséquent la représentation d’une vérité. Quelles que soient les différences profondes qui divisent soit les musulmans et les Hindous, soit les musulmans entre eux, tous se réunissent cependant sur un terrain commun : la haine ou la crainte de la religion chrétienne. De beaucoup de témoignages il ressort que le moment de la guerre d’Orient, c’est-à-dire le moment où l’Europe chrétienne allait naïvement sauver le trône du successeur de Mahomet, était précisément celui que les mahométans de toute l’Asie avaient choisi pour secouer le joug ou exterminer la race des chrétiens. Dans l’Inde, ils n’attendaient qu’un signal, mais leur travail n’était pas encore achevé ; ils ne s’étaient pas encore emparés des Hindous, et ils n’osèrent pas commencer seuls. En attendant, ils étaient, dit-on, en communication constante avec la Perse, et c’est de là qu’ils recevaient des nouvelles de la marche de la guerre d’Orient: leur système de télégraphie franc-maçonnique était régulièrement établi, et les Anglais n’y faisaient pas alors la moindre attention. On a été très surpris l’autre jour en Angleterre de trouver, dans des mémoires écrits et publiés par un Indien qui avait fait un voyage en Europe, le récit d’une entrevue qu’il avait eue avec Ali-Effendi, l’ambassadeur turc à Londres, et qui se terminait ainsi : « Après une longue conversation sur le gouvernement indien, nous prîmes congé de lui, en l’assurant que dans tous les temps nos services seraient à la disposition du gouvernement de l’islam toutes les fois qu’il les réclamerait. » L’effervescence qui commençait à agiter l’Inde pendant la guerre fut comprimée, sinon éteinte, par le retour de la paix ; mais elle n’en était pas moins le symptôme d’un grave danger. Le gouvernement anglais ne l’ignora pas entièrement, mais il crut tout rentré dans l’ordre, et le gouverneur-général, lord Canning, écrivait : » La paix est rétablie en Europe, et son retour a fait disparaître le malaise et l’inquiétude qu’une guerre même éloignée avait soulevés dans la population indigène de certaines parties de l’Inde. »

Tout porte à croire que cette grande insurrection de l’Inde devait éclater pendant que l’Europe, l’Angleterre surtout, étaient occupées à la guérie d’Orient, et que la conclusion précipitée de la paix n’a pas été une surprise seulement pour l’Occident. Que l’action de la Russie fut pour quelque chose dans cette conjuration générale de l’Asie contre l’Angleterre, que les agens russes fussent les propaga-