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ment chrétien, on n’a pas encore forcé un seul homme à se faire chrétien. Tippoo avait forcé des milliers d’Hindous à embrasser sa religion ; mais votre majesté n’a pas encore fait un seul chrétien. Sous votre domination sont des cipayes de toutes les castes. Or voici le plan que nous vous prions d’adopter. Faites mélanger de la graisse de bœuf et de porc, et faites-la mettre dans les cartouches que vos cipayes mettent dans leur bouche. Au bout de six mois, vous leur apprendrez comment ils ont perdu leur caste, et une grande route sera ainsi ouverte à leur conversion. » À quoi on ajoutait: « Or, quand la reine vit cette pétition, elle en fut fort joyeuse, et elle dit : C’est une bonne idée ; de cette façon, je ferai chrétiens tous mes cipayes. » Si étrange qu’elle paraisse, et quand même elle ne serait pas authentique, cette pièce donne la véritable clé de la révolte indienne. L’idée au nom de laquelle se sont révoltés les musulmans, c’est celle de religion et de domination ; l’idée avec laquelle ils ont soulevé les Hindous, c’est celle de caste et de superstition sociale plus encore que religieuse. Toucher à de la graisse de bœuf, c’était pour un Hindou perdre sa caste ; perdre sa caste, c’était devenir le rebut et l’horreur de l’humanité, un être maudit que ne pouvaient plus voir ni sa mère ni son frère. Cette affaire des cartouches graissées, qui peut paraître si puérile, n’a pas été sans doute la cause unique ou la cause principale de la révolte, mais elle a été comme une étincelle qui met le feu à un amas de combustibles. Un coup de pistolet tiré sur un boulevard n’est pas la cause d’une révolution, mais il peut en être le signal. On avait persuadé aux Indiens que les Anglais leur distribuaient les nouvelles cartouches dans une intention perfide de propagande religieuse ; on leur avait fait craindre pour ainsi dire un escamotage de leur caste. Ils devaient mordre innocemment dans le fruit maudit et se trouver parias sans le savoir. C’est avec cet épouvantail qu’on les a soulevés ; ils ont eu peur d’être convertis par sortilège.

On a pu lire aussi dans les journaux la proclamation faite par le seul homme qui ait joué un rôle individuel et saillant dans l’insurrection, par Nana-Sahib, et dans laquelle il expose que le gouvernement anglais, ayant résolu de ravir aux mahométans et aux Indiens leur religion, a demandé en Angleterre des renforts considérables de troupes. Alors la reine d’Angleterre prévient le sultan qu’elle enverra ses forces par l’Égypte ; mais le sultan adresse un firman au pacha d’Égypte pour lui défendre de laisser passer les Anglais, et il lui dit : « Si je le permettais, je ne pourrais plus montrer ma face devant Dieu ; car mon jour peut venir aussi, et si les Anglais convertissent tout l’Hindostan à la religion chrétienne, ils en feront ensuite autant de mon royaume. » Il arrive donc que le pacha reçoit