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sée. La théorie de la nécessité d’un premier moteur est si bien exposée dans Platon, qu’Aristote l’a recueillie et prise à son compte[1]. Le maître et le disciple s’accordent parfaitement sur l’attribut fondamental de l’intelligence première, à savoir, de se connaître soi-même. L’intelligence première de Platon et d’Aristote n’attend pas l’homme pour penser en lui et par lui; elle se pense de toute éternité, avant l’homme, avant le monde, avant le temps. Dieu est, dit Aristote, la pensée de la pensée[2]; il est, dit Platon, le lieu des idées, il n’est un véritable dieu qu’en tant qu’il est avec elles[3]. Et encore, selon Platon, l’idée la plus haute étant celle du bien[4], cette idée est celle qui touche le plus à l’essence de Dieu, en sorte que Dieu est essentiellement bon. L’amour est le fond de son être. C’est par bonté et par amour qu’il a créé ou formé le monde[5], et fait l’homme intelligent et capable d’amour. De là la psychologie platonicienne qui reconnaît dans l’homme ce que Dieu y a mis, la raison capable de s’élever à Dieu par les idées, surtout par l’idée du bien, et l’amour se rapportant à Dieu comme à son principe à travers tous les degrés de la beauté physique et morale. Quelle analogie peut-on mettre entre cette philosophie-là et le spinozisme? Le genre humain ne s’y trompe pas : il s’incline devant l’une et se détourne de l’autre, et moi je fais comme le genre humain.

Comment en effet me fera-t-on croire que le principe de l’être ne contient pas en soi ce qu’il y a incontestablement de meilleur dans l’être, ce qui fait l’excellence de cet être dérivé et fini qu’on appelle l’homme, à savoir la volonté et la pensée? Comment, avec une ombre de raison, puis-je mettre moins dans la cause que dans l’effet? Pascal a dit, dans un magnifique langage, que l’homme n’est qu’un roseau, il est vrai, mais un roseau pensant, et que par là il est incomparablement au-dessus de l’univers, parce que l’avantage d’étendue et de durée que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien, tandis que l’homme connaît l’univers et se connaît lui-même. Je prétends de même que si Dieu n’est que l’être pur, sans personnalité et sans conscience, l’homme intelligent et libre lui est mille fois supérieur.

Je défie tous les panthéistes du monde de répondre d’une façon un peu intelligible à ces deux argumens bien simples :

1° Comment de l’être sans pensée peut sortir l’être pensant? Et même en général comment de l’existence indéterminée peut-il sortir

  1. dans le XIIe livre de la Métaphysique, voyez notre traduction.
  2. Livre XIIe de la Métaphysique, ch. IX; notre trad. p. 213, etc.
  3. Le Phèdre, t. VI, p. 55.
  4. La République, liv. VII.
  5. Le Timée.