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Bossuet travaillait, petit cabinet où il couchait, un cabinet au-dessus pour son domestique.

A La Ferté-sous-Jouarre, la nuit, en changeant de chevaux, la maîtresse de la poste et le postillon causent ensemble avec vivacité. Celui-ci se plaint tout haut de manquer de pain : « On nous laisse crever de faim, dit-il, et si nous disons un mot, autant de pris, autant de fusillés. — Cela ne peut durer ainsi, répond la maîtresse de la poste, cela ne durera pas. » A Dormans, même langage... Partout une misère profonde. Silence et abattement des paysans. Déjà les Prussiens et les Bavarois se montrent.

Approches de Metz. Lorsqu’on a passé Gravelotte, on a devant soi un spectacle magnifique : on se trouve dans un vallon fermé par des montagnes au milieu desquelles s’élève une ville superbe. La route se prolonge doucement à travers une nature charmante, cultivée par l’art le plus ingénieux et par un peuple digne du pays qu’il habite. Devant moi, Metz avec ses remparts; à gauche, en face de Metz, le Saint-Quentin où Charles-Quint fit monter des canons pour bombarder la ville, mais le canon ne porte pas jusque là; à droite, encore des montagnes.

Voici la première place de guerre que je rencontre. Trois rangs de remparts avant d’arriver à la ville, et chacun de ces remparts forme une place distincte : la première plus petite que la seconde, et celle-ci moins grande que la troisième, qui se mêle à la ville. Aspect général de grandeur et de force, activité et mouvement de la population, excellente attitude de la garnison. A table, conversation avec deux officiers, l’un à demi-solde, l’autre employé. Celui-ci n’a que son épaulette; il y tient, et sa parole est grave et mesurée; respect du plus jeune pour le plus vieux; patriotisme de tous les deux; sang-froid du plus âgé; impétuosité du jeune homme, qui est ardent et beau comme Achille. Au fond, le gouvernement n’est pas aimé et l’étranger abhorré.

A Forbach, impression solennelle en quittant pour la première fois la France.

La Prusse à Sarrebruck. A mon langage, on me reconnaît, on m’entoure. « Que dit-on en France? Pense-t-on à nous? Nous avons le corps prussien et le cœur français. »

Arrivée la nuit à Mayence. Le lendemain matin, je cours sur le pont du Rhin. Ce spectacle ne peut se décrire. Le Rhin tranquille et fier... Mayence à gauche, sous mes pieds le fleuve, et devant moi le Rhingau. En voyant cette forteresse où des Prussiens et des Autrichiens montent aujourd’hui la garde, je pense au temps où le drapeau français flottait sur ces tours, au siège de Mayence, à Meunier, à Marceau, à Kléber, à tant de combats livrés, à tant de sang ré-