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peu près autant de la fresque où le saint fait parler un enfant au maillot, en témoignage de l’innocence de sa mère. De dix-sept peintures dans les mêmes dimensions, tous les sujets ne sont pas aussi favorables à l’art, et l’on est heureux de penser que ce n’est pas Titien, mais Campagnola, d’ailleurs assez habile, qui s’est chargé de peindre saint Antoine prêchant au bord d’un lac et charmant les poissons, qui pour l’entendre se mettent aux fenêtres, comme dans le poème de Théophile, ou un âne qui, dédaignant de droite et de gauche l’herbe ou l’avoine qu’on lui offre, s’agenouille de préférence devant le corpus Domini en signe d’adoration. La légende de saint Antoine est remplie d’historiettes de ce genre, qui ont été d’ailleurs reproduites sérieusement dans les beaux bas-reliefs en marbre blanc de la chapelle élevée dans l’église par Sansovino. Nulle part je n’ai vu plus mêlées cette grandeur et cette petitesse que le génie du peuple italien prête par momens à l’art et à la religion.

Cependant, pour qui aime la naïveté sans la niaiserie, pour qui désire assister aux premiers efforts de la peinture renaissante, encore dans l’enfance peut-être, mais déjà animée par le sentiment et l’imagination, il faut aller frapper à la porte d’un verger où l’on fait sécher le linge sur des arbres fruitiers plantés dans l’emplacement d’une arène antique. Au fond de ce verger, la servante de la maison vous ouvrira une petite chapelle, Santa-Maria-dell’-Arena. Dans cette chapelle domestique, fondée pour l’usage des chevaliers de Sainte-Marie, appelés plus tard, pour certaines raisons peu catholiques, frati godenti, Giotto a peint en 1306 trois zones superposées de fresques de moyenne grandeur, dont les sujets sont allégoriques ou pris des Évangiles, même des Évangiles apocryphes. Murray a donné une description exacte, et qu’on ne trouve point ailleurs, de cette suite de peintures qui peuvent être regardées comme le monument le plus significatif et le mieux conservé du génie de Giotto. J’ai été frappé surtout d’un mérite de composition et d’expression que cent ans plus tard des écoles de peinture cherchaient encore. Je ne veux point traduire Murray, ni le répéter ; mais je citerai, comme de véritables tableaux, Jésus-Christ lavant les pieds des Apôtres, Jésus-Christ devant Caïphe, et la Déposition de la Croix. Parmi les allégories, celle de l’Espérance, représentée par une femme ailée qui paraît à peine toucher la terre, semble appartenir à un art plus avancé que le commencement du XIVe siècle. On devrait aller à Padoue, quand ce ne serait que pour visiter Sainte-Marie de l’Arène.

Mais rien ne nous retient plus à Padoue, et comme ni Bassano ni Trévise ne nous appelle, prenons en wagon le chemin de la mer, et allons nous embarquer à Venise.


CHARLES DE REMUSAT.