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en pente et aboutissant chacune par une porte à une petite place, où les acteurs devaient jouer Œdipe. C’est un théâtre bon peut-être pour une représentation de collège, et qui ressemble à un jouet d’enfant. On serait tenté de mettre les maisons dans une boîte, comme celles des villes qu’on fabrique à Nuremberg. La partie de la salle destinée aux spectateurs m’a paru seule vraiment digne du grand artiste qui l’a construite. Je me souviens qu’une belle jeune personne, d’un teint éclatant, relevé par une riche et abondante chevelure d’un rouge doré, nous montrait cette salle avec une sorte de grâce. Je crus que la courtoisie française m’obligeait de lui dire qu’elle était certainement Vénitienne, et qu’elle avait l’air d’un modèle de Titien : à quoi elle me répondit qu’elle était Anglaise.

Le palais Chiericati, aujourd’hui Pinacoteca civica, est un édifice un peu froid, mais de noble apparence, et qui fait un beau musée. Une Vierge de Paul Véronèse m’a vivement frappé. Elle a toutes les qualités de celles de Murillo, avec une élévation de style et un grand caractère que celles-ci n’eurent jamais. Un autre tableau du même maître est connu sous le nom du Souper de saint Grégoire. C’est un des quatre grands festins du Véronèse, et, pour l’étendue et la manière, il ressemble aux Noces de Cana du Louvre. Le sujet est singulier. C’est Jésus-Christ en habit de pèlerin et soupant, non pas chez Simon le Lépreux ou chez Marthe et Marie, mais chez le pape Grégoire le Grand, dans un bel appartement à l’italienne. Ce tableau, dans son état actuel, est un témoignage, et il n’est pas le seul, de la manière dont les Autrichiens traitent et comprennent l’Italie. Il décorait le réfectoire du couvent de Notre-Dame de Monte-Berico, lorsque les soldats qu’on y avait logés en 1848, après le bombardement de Vicence, mirent en pièces cette toile précieuse. Il a fallu en recoudre les morceaux, la réparer à l’aide d’une copie qu’on en avait gardée, et les jointures blanchâtres de tous ces lambeaux font un déplorable effet. Mon guide s’est empressé de me dire que, lorsque l’empereur avait vu cela, il en avait été bien fâché : je le crois.

Parmi les curiosités que conserve le musée, on doit noter les papiers et les dessins de Palladio, et un Voyage en France, ouvrage inédit de Scamozzi, qui y a décrit et dessiné à la plume quelques-uns de nos monumens; ce manuscrit devrait être publié.

Beaucoup de voyageurs ne s’arrêtent point à Padoue, et ils ont tort. On est pressé d’arriver à Venise, et l’on se figure avoir vu de Bergame à Vicence assez d’échantillons des vieilles cités lombardes. Il vaudrait mieux sacrifier une de celles que nous avons nommées jusqu’ici, et réserver un jour ou quelques heures pour l’antique cité du tyran Ezzelino et des seigneurs de Carrara.