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le soin de choisir seul votre évêque, et cela en présence d’un vénérable métropolitain, qui, le premier des évêques de sa province, est aussi mon supérieur par l’ancienneté, par l’âge, et surtout par le mérite. Appelé à parler sur un métropolitain devant un métropolitain, moi simple évêque provincial, j’encours à la fois le blâme qui punit la hardiesse et la honte qui suit l’inexpérience. Or donc, puisqu’il vous a plu de vous tromper ainsi sur mon compte, examinons ensemble ce que doit être l’homme qui prétendrait à l’honneur de vous gouverner.

« Mais travaillez d’abord à alléger, s’il se peut, le poids de votre faute en me rendant par votre intercession près de Dieu tel que vous me croyez être et tel qu’il faut que je sois, pour accomplir les obligations dont vous me chargez. Ma faiblesse a bien plus besoin de vos prières que de vos applaudissemens. Tenez-moi compte aussi des maux que votre imprudente confiance a fait fondre de toutes parts sur moi, de ces Scyllas béantes prêtes à m’engloutir, et de ces Charybdes à langues humaines dont les aboiemens me diffament en vous accusant. Hélas ! le mal possède je ne sais quelle énergie pernicieuse qui fait que le contact de quelques méchans corrompt l’honnêteté du grand nombre, tandis que la contagion du bien est si lente, et que quelques vertus n’ont jamais suffi pour purifier une multitude pervertie !

« Ceci dit, entrons en matière, et voyons qui je vous choisirai pour évêque.

« Vous donnerai-je un moine ? Oh ! ce moine réunirait-il les perfections des Paul, des Antoine, des Hilarion, serait-il le modèle des anachorètes, que la critique s’acharnerait encore sur lui, et il me semble entendre déjà les murmures d’une foule de nains qui me crient : « C’est un évêque qu’il nous faut, et non point un abbé ! L’homme que vous nommez pourra bien intercéder pour nous auprès du juge du ciel, mais qui protégera nos corps auprès des juges de la terre ? » Puis viendra l’opinion des gens du monde et cette manie de dénigrement qui transforme en vices les moindres habitudes et jusqu’aux vertus de ces solitaires. Supposez que je nomme un moine qui porte la tête modestement baissée : « C’est un homme de rien, me dira-t-on ; son maintien dénote sa bassesse. » Si au contraire il la porte haute et droite, « c’est un arrogant, un homme plein de lui-même. » Je le prendrai savant, on le taxera de pédanterie, et de grossièreté s’il est simple. Sa sévérité sera dureté, son indulgence relâchement ; sa finesse, s’il en a, passera pour astuce et double foi. Sera-t-il sobre, on le proclamera avare ; aimera-t-il à bien vivre, on l’appellera glouton ; jeûnera-t-il, on verra en lui un hypocrite et un faux saint. S’il parle librement, ce sera un méchant,