Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/508

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui marchent à grands pas dans la voie au terme de laquelle brillent les hommes universels, Léonard de Vinci et Michel-Ange. A Vicence, il est bien difficile de ne point parler de Palladio, quoiqu’il ne soit pas, à mon avis, tout à fait l’égal de Sanmicheli, et de ne point citer Scamozzi, qui approche de tous deux. Le nom de Sansovino se place au moins sur le même rang que ceux de Scamozzi et de Palladio. Ce sont là quatre grands maîtres qu’il faudrait pouvoir bien apprécier pour faire avec un plaisir complet le voyage de Vérone à Venise, et comment les apprécier, comment les bien admirer, sans une instruction ou seulement une expérience qui permette de pénétrer par la comparaison dans les secrets d’un art encore moins que la peinture accessible au vulgaire?

Nous avons sans doute des ouvrages écrits par les hommes du métier, et très propres à nous faire comprendre les genres, les âges et les caractères de l’architecture italienne; mais il me semble que les voyages destinés aux gens du monde sont fort insuffisans sous ce rapport. Je ne connais pas dans notre langue de livres qui soient l’équivalent des ouvrages anglais de Knight et de Wood (Architecture ecclésiastique de l’Italie, — Lettres d’un Architecte), et M. Valéry, que l’on consulte avec tant de profit, est un peu vague quand il parle des chefs-d’œuvre de l’art de bâtir. Pour moi, je me contenterai d’indiquer une classification que je crois juste, mais probablement fort grossière, d’après laquelle je m’efforce de régler mes jugemens et presque mes impressions. Les édifices italiens et notamment les palais semblent se partager en deux genres dont j’appelle l’un romain et l’autre moresque. Ces noms sont, je n’en doute pas, inexacts, mais ils peuvent servir à s’entendre. Ainsi nous avons rencontré déjà, particulièrement à Vérone, de grandes maisons, d’anciens manoirs de ville, plantés sur la rue, ayant peu d’ouvertures au rez-de-chaussée, pas d’autre quelquefois que la porte d’entrée bordée de nervures ou de colonnettes et surmontée par une frange d’ornemens qui se dessine suivant une certaine courbe ou les deux côtés d’un triangle sphérique. De grandes surfaces planes, en brique ou en pierre, se montrent à tous les étages, interrompues quelquefois par des cordons ouvragés. Au premier, et ce premier est assez élevé, une large fenêtre centrale à trois ou cinq compartimens, séparés par des colonnettes en pierre ou en marbre, terminés par des cintres ou des ogives sculptées d’ordinaire avec délicatesse, s’ouvre sur un balcon dont la balustrade n’est pas moins artistement découpée par le ciseau. De chaque côté, à une distance assez grande, deux fenêtres étroites à une seule ouverture, mais du même style, ont de petits balcons semblables. Il n’y a souvent rien au-dessus qu’une corniche simple ou travaillée, et un toit presque plat en tuiles