Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/487

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

joli ; mais le joli me touche peu au milieu de cette mer intérieure encadrée par les Alpes. L’Isola-Bella frappe dès l’abord par sa petitesse, à laquelle les dessins ne vous ont pas préparé, parce que les dessins en font l’objet principal. Ils en supposent par conséquent le spectateur assez rapproché, et ne montrent qu’un coin du lac et de ses bords. Je crains donc bien qu’elle ne soit un de ces colifichets que le goût italien ne repousse pas, qu’on admirait au XVIIe siècle, et qu’on s’est mis à admirer en Angleterre. Je suis persuadé néanmoins qu’elle gagne à être vue dans ses détails et de près : je n’y ai pas abordé et je répète que la pluie rendait tout gris.

Le bateau à vapeur ne fait point tout le périple du lac. À la hauteur de Locarno, où l’on n’est plus en Italie, il le traverse de l’ouest à l’est, et comme je voulais gagner Milan, il me débarqua à Luino, qui a donné son nom au plus charmant élève de Léonard de Vinci, Bernardino Luini. Un voiturier s’offrit aussitôt ; la pluie venait de cesser, et une course de trois heures à travers des vallées boisées me conduisit à Lugano. Le soleil, perçant à chaque instant des nuages diaprés de mille teintes, se jouait à travers les arbres, et de leurs feuilles lustrées par la lumière et la pluie tombaient lentement des gouttes limpides et brillantes comme du cristal. Au terme de la course, au détour d’un chemin, j’aperçus tout à coup le lac de Lugano et la jolie ville qui porte ce nom. La première maison était une auberge en manière de palais, construite pour les Anglais, entourée de jardins et donnant sur le lac. À cela près, ce ne sont plus ici les magnificences du Lac-Majeur. Cependant Lugano n’est pas mal bâti ; quelques maisons de campagne paraissent d’agréables habitations. L’église, où l’on grimpe par une pente assez rude, s’élève sur une plate-forme d’où l’on voit tout le lac, borné, mais tranquille, frais et verdoyant. Pour qui cherche la vie champêtre, c’est peut-être sur ces bords qu’il faut s’établir. En trois quarts d’heure, un petit bateau à vapeur me conduisait le lendemain à Capolago, c’est-à-dire à la tête du lac. Des omnibus vous y attendent pour vous mener en Lombardie.

On connaît le Tessin, dernier canton suisse du côté de l’Italie, dernier pays de liberté, surtout par les plaintes de l’Autriche, qui ne lui pardonne pas de manquer d’une police aussi perfectionnée que la sienne. Par sa situation, le Tessin est un asile, et il peut même devenir un ouvrage avancé pour l’émigration révolutionnaire. À Lugano, il y a trente ans, s’établit une imprimerie qui fut un temps toute la liberté de la presse de l’Italie. Plus d’un habile écrivain de cette époque, Manzoni lui-même, je crois, a profité de l’imprimerie de Lugano. La contrebande faisait le reste. Aujourd’hui il y a quelque chose de semblable à Capolago. L’économie ou peut-être le dé-