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mon bagage et moi, sur le bateau à vapeur. Je me laissai faire, quoique le temps fût affreux; une pluie diluvienne accompagna toute ma navigation : aussi mes rares compagnons de bateau, dont aucun ne voyageait pour son plaisir, restèrent-ils dans la cabine, et je fus le seul à monter tous les demi-quarts d’heure sur le pont pour prendre un bain de pluie et un coup d’œil du lac. Ma première ascension fut pour la fameuse statue de saint Charles Borromée qui, du haut d’une colline, domine Arona, sa patrie. L’attitude est celle de la bénédiction. Elle n’a rien d’ingénieusement inventé, mais elle est naturelle. Malgré ses dimensions gigantesques, la statue a un air de vérité. De loin elle frappe moins comme une œuvre d’art que comme un colosse vivant; on s’y tromperait. Le grand nez traditionnel de mon charitable et vénéré patron n’est pas oublié, et malgré l’obscurité du temps il se dessinait noblement sur l’horizon. Je dois convenir que la pluie a fait pour moi beaucoup de tort au Lac-Majeur. Non-seulement les lointains étaient perdus dans le brouillard, mais les pentes élevées qui l’entourent se couvraient de nuages très bas. Tout l’éclat du paysage restait à deviner. Les lacs d’Italie ont un caractère qui leur est propre. Ceux d’Ecosse sont ternes et doux, d’un aspect calme et triste, rarement fort étendus, bornés par des montagnes arrondies que revêt une verdure sans lacune, mais sans richesse. Sur leurs bords souvent déserts, la nature est belle et recueillie, mais pauvre, monotone. C’est un séjour de paix mélancolique. Les lacs d’Angleterre, si célèbres par leurs poètes, sont remarquables par ce luxe d’arbres, la brillante parure du pays; mais ces lieux, d’une fraîcheur merveilleuse, offrent peu de grands points de vue et d’accidens de terrain imposans. Le Lac-Majeur, moins agreste que le lac de Brienz ou celui des Quatre-Cantons, rappelle, pour la multiplicité des fabriques qui parsèment ses bords, la partie méridionale du Léman, ou l’entrée du lac de Zurich. Les pentes qui l’entourent immédiatement sont plus raides, et cependant cultivées jusqu’au sommet; elles appartiennent à la nature ornée, en conservant quelque chose de la grandeur de la nature sauvage. Un mélange de nature et d’art forme en général le caractère du paysage italien. On le reconnaît surtout aux îles Borromées. Celles où il n’y a que des arbres et des maisons semblent flotter à la surface des eaux. L’Isola-Bella est, comme on sait, une sorte de petite tour de Babel, composée de dix massifs quadrangulaires étages en retraite les uns sur les autres et garnis de statues, d’arbustes, de vases, de balustres, enfin de tous les ornemens que l’art des jardins emprunte en Italie à l’architecture. Quand de tels ouvrages sont neufs, entretenus avec le même soin que les parterres de Versailles ou de Kew, c’est assurément fort