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mère de l’Enfant-Dieu a été traité de cinq ou six manières différentes qui sont chacune devenues pendant un temps une convention d’école. Raphaël, dès qu’il a commencé à être lui-même, a conçu pour la tête de Marie un certain type dont il s’est peu écarté, sans le reproduire jamais dans une identité absolue. Ses vierges se ressemblent comme des sœurs. Il n’y a point entre elles la même inégalité qu’entre ses enfans Jésus, qui sont loin d’avoir tous la même valeur ni d’exprimer la même pensée. Dans la Madonna della Tenda, ce n’est pas l’enfant qui fait le prix du tableau, mais l’ensemble plaît, et n’est pas au-dessous de la grande idée que fait naître soudain ce simple nom : Raphaël Sanzio.

La Madeleine lavant les pieds du Christ, venue du palais Durazzo à Gênes, me paraît encore plus digne du nom de Paul Véronèse que son Moïse sauvé des eaux, tableau où il a placé son portrait. Dans l’un et l’autre de ces ouvrages, on retrouve, en fait de richesse et de lumière, ce qu’on doit attendre d’un pareil maître. Un Luther d’Holbein, le Jules II de Raphaël (on veut qu’il l’ait répété trois fois), et des portraits de Titien, de Rembrandt, de Velasquez m’ont laissé de très distincts souvenirs; mais je ne puis oublier une salle presque tout entière consacrée à l’Albane et remplie de tableaux mythologiques dont les personnages sont de demi-grandeur, et qu’on est convenu de trouver gracieux. Le cardinal Maurice de Savoie, en commandant au peintre les plus célèbres, lui dit qu’il voulait una copiosa quantità di amoretti. Il fut servi à souhait; tant mieux pour lui. Pour moi, je ne dirais rien de l’Albane, s’il n’y avait là deux tableaux couverts d’un rideau, lequel, tiré discrètement par un huissier du sénat, laisse voir d’abord Salmacis et Hermaphrodite, puis les trois Grâces ou les trois déesses du procès que jugea Pâris. Ici les figures sont grandes, et je ne puis dire que la peinture soit d’une chasteté parfaite; mais elle rappelle vaguement la grâce du Corrège et l’exécution de Rubens, et je n’ai rien vu de l’Albane qui valût cela : tableaux d’ailleurs dont l’auteur ne prévoyait pas qu’ils pareraient un jour un bureau de législateurs.

Turin possède un musée égyptien très renommé dans le monde savant. Il a précédé ceux de Paris et de Londres, et sa gloire est d’avoir servi de berceau à la grande découverte de Champollion. En qualité d’ignorant, je ne puis jamais voir rassemblés en collections si complètes et si variées les débris des arts, des religions, des gouvernemens, de l’industrie et des mœurs de l’antique Isis, mêlés à de nombreux manuscrits vieux de trois ou quatre mille ans, sans penser avec chagrin à la manière différente dont le temps a traité l’antiquité égyptienne et l’antiquité grecque. Quel trésor ce serait, en monumens analogues d’Athènes ou même de Rome, que la dixième