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plus, dès longtemps, représenté dans les conseils du continent. Si l’on tire une ligne qui partage l’Europe de l’est à l’ouest, un peu au-dessous du 45e degré, il n’y aura au sud de cette ligne que des états en déclin, des états dont le sort est indifférent au reste du monde, ou qui ne lui suscitent que des difficultés, des embarras, des occasions de conflit ou d’envahissement. Le midi de l’Europe, cette contrée bénie du ciel, a pourtant par ses souvenirs, ses ressources, son genre de civilisation, par les mœurs, les idées et les caractères qu’il produit, une réelle importance et une place marquée dans la civilisation de l’humanité. C’est une lacune et comme une injustice qu’il compte pour si peu dans la politique. Il serait heureux que l’ensemble d’opinions et d’intérêts que toute cette région renferme se pût relever et concentrer quelque part, afin de compter davantage dans les délibérations communes. Ce n’est pas la Turquie, ce n’est pas la Grèce, ce n’est pas l’Espagne, qui, de bien longtemps du moins, paraissent devoir prendre un rôle influent dans les affaires générales. Il n’y a personne qui n’ait pensé quelquefois que ce pourrait être l’Italie, et si, au nord des Apennins, un état existait qui pût un jour marcher de pair avec les puissances du premier ordre, il n’y a point, je crois, d’homme d’état désintéressé qui n’en vît avec bonheur les progrès et le développement. Lord Byron disait que l’émancipation de l’Italie était la poésie de la liberté. Ce serait quelque chose de plus, et un fait considérable dans le champ même de la réalité.

S’ensuit-il que ce soit un fait qu’il faut réaliser à tout prix, un but qu’il faut atteindre par tout moyen? Nullement; il n’y a que les enfans ou les fous qui croient que les affaires du monde se mènent ainsi, et que toute idée qui plaît à la raison est de plein droit une chose à faire. La paix, l’équité, la prudence, le respect des engagemens peuvent, et longtemps encore, ajourner un résultat désirable. La réalisation même n’en est point certaine. Rien en tout cas d’absolu ni de complet n’est probable. L’absolu et le complet sont des chimères; mais ce qui reste vrai, c’est qu’il est sage et politique de regarder comme bonne en soi la création d’une puissance indépendante en Italie, de tendre à la fortifier toutes les fois que des incidens imprévus ou des faits accomplis donnent ouverture à quelque modification de l’ordre établi, d’entourer de bienveillance et d’estime l’état qui paraît dans une certaine mesure destiné à ce rôle, et qui sans violence et sans injustice se montre jaloux de s’élever à ce degré de force et d’autonomie où, non content de se défendre soi-même, on peut jusqu’à un certain point protéger les faibles et veiller au salut du bon droit. Il faut en politique comme en toutes choses un certain idéal vers lequel marche le véritable homme d’état.