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tère qui convient au domicile d’une vieille dynastie. Il serait ridicule de comparer le palais de Turin à l’intérieur de Versailles : les restes des pompes de Louis XIV sont peut-être les plus grands vestiges de monarchie qu’il y ait au monde; mais je n’hésite pas à préférer l’intérieur du palais de Turin à celui des Tuileries, de ce palais vingt fois repeint et remeublé depuis la fin du siècle dernier, et qui semble un emblème de l’instabilité de nos royautés successives.

La maison de Savoie est peut-être la plus nationale des familles royales de l’Europe. En s’élevant lentement à la royauté, elle a formé et agrandi son royaume, et l’ambition même qu’à diverses époques on lui a reprochée a pris pour son peuple les caractères d’une vertu patriotique. L’importance extrême que ses intérêts et son existence ont eue dans les débats de l’Europe moderne, importance qui n’était pas en proportion avec sa puissance effective, tient évidemment à sa situation et au rôle que cette situation lui assigne dans l’avenir. Elle n’a guère été menacée que par des puissances engagées dans de mauvais desseins pour l’indépendance et le repos de l’Europe,

Mais il est impossible de parler du Piémont sans faire un peu de politique.

Le gouvernement piémontais est peut-être en ce moment le plus distingué des gouvernemens du continent. L’estime et la sympathie de quiconque s’intéresse aux destinées de la société européenne lui sont dues. Il a entrepris spontanément de faire par lui-même et sur lui-même une révolution politique; jusqu’à présent il a réussi, et aucun signe ne donne à craindre que son succès ne soit pas durable. Voici pourquoi.

Le parti purement révolutionnaire existe faiblement en Piémont, ou du moins il y est sans crédit, parce qu’il n’a point de raison d’être. Les classes diverses de la société n’y sont divisées par aucun ressentiment profond. Le clergé, ou plutôt une partie du clergé, y a bien commis la faute ordinaire de peu comprendre l’esprit du temps et les besoins nouveaux : c’est le pays de M. de Maistre, quoique son école y soit moins en honneur que dans bien d’autres églises; mais les noms de Rosmini et de Gioberti sont là pour prouver qu’un esprit chrétien de réforme n’est pas étranger au nord de l’Italie. Si une partie de l’aristocratie a pu voir avec répugnance ou avec effroi la révolution, ni les événemens, ni ses sentimens ne l’ont conduite ou réduite au parti de l’émigration. Elle n’a point quitté le sol, elle est restée dans l’armée, elle ne s’est pas entièrement retirée des affaires publiques. D’ailleurs pouvait-elle opposer sa bannière à l’étendard royal? La dynastie était avec le peuple ; une sécession patricienne était impossible. Enfin les Piémontais ne sont par nature ni aventureux, ni chimériques; ils ont une qualité, la solidité d’es-