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peut trouver du feu et quelques secours; mais l’idée de la nécessité d’une aide extraordinaire ne vient guère à l’esprit, au moins dans cette saison. On n’est frappé que d’une chose, c’est que la route est fort animée. Les piétons, à ce qu’il paraît, préfèrent aussi les marches nocturnes. On en rencontre à chaque pas, et les hôtes assoupis de la diligence entendent bourdonner constamment autour d’eux la conversation des passans. A minuit, près des glaciers, on se croirait sur le chemin d’un bourg un jour de foire.

Dès que les seize mules sont congédiées et que l’on a descendu à deux chevaux le versant des Alpes, on trouve à Suze le paysage italien. De cette ville à Turin, le chemin de fer court dans une campagne arrosée, où les prés et les champs sont jonchés de mûriers ou d’ormeaux parés de vignes en festons. Des maisons blanches sont éparses sur le penchant des collines; partout se montre un air d’aisance qui ajoute à la gaieté du paysage.

Turin a la réputation d’être une ville triste; c’est une ville uniforme et régulière, mais non pas triste. Les rues mêmes qui sont bâties sur un même plan n’ont point cette froideur ennuyeuse de la première partie de la rue de Rivoli. L’architecture peut n’en être pas très bonne, mais la diversité des ouvertures, la saillie des balcons et les rideaux d’une couleur tranchante qui flottent en dehors des fenêtres leur donnent un air méridional, et sous les galeries qui les bordent dans toute leur longueur, des magasins brillans, des cafés animés, une circulation nombreuse, rendent amusante la perambulation du flâneur. Turin est d’ailleurs tout entier d’un seul côté du Pô, et c’est là une situation bien préférable au partage d’une cité entre deux rives. Le contraste entre la campagne et la ville d’un bord à l’autre d’un grand fleuve vaut mieux que la symétrie de deux quartiers qui se regardent. C’était la grande beauté de Bordeaux avant que la commodité du pont eût facilité l’établissement de l’industrie sur la rive droite de la Garonne, changement complété et aggravé par l’installation de la gare du chemin de fer. A Turin, les coteaux qui font face à la ville, verts de la base au sommet, sont à leurs divers étages ornés de maisons de plaisance d’où le regard s’étend sur le fleuve, sur la ville, sur les fraîches campagnes qui l’environnent, enfin sur ce rideau des Alpes qui limite l’horizon. De la terrasse d’un couvent de capucins qui de loin ressemble à une élégante villa, la vue est magnifique, et si l’on monte jusqu’à la Superga, église consacrée à la sépulture des rois de Sardaigne, on croit embrasser d’un coup d’œil un royaume entier.

Les monumens de Turin n’ont point et ne méritent pas une grande réputation. Ce n’est pas faute de prétention chez les architectes. Le théatin Guarini et Juvara paraissent s’être proposé avant tout l’ori-