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sa vie à les combattre soit comme soldat soit comme citoyen. Sous des habitudes froides et sévères, Simplicius cachait une nature forte et passionnée, un savoir profond, une éloquence persuasive, et la foule s’était prise pour lui d’un enthousiasme d’autant plus vif qu’il affectait de mépriser la popularité. On eût dit un Romain des vieux temps, sanctifié par l’âme d’un martyr, car Simplicius avait souffert pour la foi. Les Barbares, l’ayant fait prisonnier, on ne sait à quelle occasion, le mirent dans le plus noir cachot d’un ergastule d’esclaves, en barrant et verrouillant la porte avec soin ; mais une nuit la porte se trouva ouverte, et le prisonnier parti. Le bruit s’accrédita que Simplicius avait été délivré par un ange, et le peuple le vénéra dès-lors comme un saint.

L’évêché étant venu à vaquer sur ces entrefaites, on le lui offrit ; mais il refusa d’un ton qui n’admettait point de réplique. « Si vous voulez un bon évêque, dit-il au peuple, adressez-vous à Palladius. » On alla chercher Palladius, qui fut élu. Palladius appartenait à une famille de professeurs toulousains fort célèbre au Ive siècle, dont une branche s’était transplantée à Bourges et avait embrassé la condition ecclésiastique : un Palladius avait même été évêque de cette métropole. Des liens d’amitié s’établirent entre Simplicius et le nouvel élu à propos de son élection. L’évêque avait une fille pleine de charmes et de vertus qui grandissait saintement à l’ombre de l’autel. Quand elle fut en âge d’être mariée, Simplicius la demanda pour femme et l’obtint. Cependant Palladius mourut, et le peuple, revenant à sa première pensée, alla de nouveau solliciter Simplicius dans sa retraite. Il refusa encore, et son père fut nommé. C’était ce père de Simplicius qu’une mort récente venait d’enlever au siège épiscopal de Bourges. Beaucoup songeaient toujours au fils, qui, harcelé par ses amis, ne se défendait plus que mollement. Toutefois ses refus réitérés lui avaient fait perdre l’unanimité des suffrages, et une partie des habitans, se mettant à la recherche d’un candidat moins dédaigneux, avait provoqué la compétition de Pannychius et d’Eucher. Sidoine, sans l’avoir jamais vu, le connaissait par la renommée de ses aventures héroïques ; il lui avait même écrit quelques lettres, et ce qu’il apprit à Bourges de son caractère le fit pencher pour lui dès le premier moment.

Le jour de l’élection approchant, Sidoine vint s’installer à Bourges. La ville était remplie d’agitation ; on eût pu se croire à la veille d’une émeute. Dans les rues, sur les places, principalement autour de l’église, stationnaient des groupes inquiets, ardens à la dispute, préconisant leur candidat et déchirant les autres. C’était un échange de panégyriques et d’attaques, un débordement de propos diffamatoires qui n’épargnaient pas le juge et ses conseillers ecclésiastiques :