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cifiques que Rovigo lui-même lui adressait de Paris, Napoléon, au fond, ne voulait pas la paix : il n’est plus guère permis de s’y tromper ; il ne se servait de l’armistice de Pleiswitz et des négociations évasives de Prague que pour doubler ses arméniens, frémissant à la seule pensée qu’on pût mettre en question l’efficacité de ses coups, ne croyant pas peut-être à une résolution si prochaine de l’Autriche, et comptant dans tous les cas, si l’Autriche se prononçait contre lui, avoir le temps de battre les alliés l’un après l’autre. Il l’aurait pu sans doute avec ses vieux soldats d’autrefois ; il ne le pouvait plus avec une armée qui n’était qu’une agglomération de jeunes conscrits français à peine façonnés à la guerre ou d’alliés douteux prêts à la défection, et c’est ici surtout qu’on peut voir combien le génie militaire de Napoléon, si grand qu’il fût toujours, pliait sous le poids d’une politique impossible. Pour garder Hambourg, Dantzig, Stettin, Custrin, il s’affaiblissait et laissait le Rhin sans défense ; pour menacer la Prusse et Berlin, il étendait immensément sa ligne d’opérations, et pour occuper ce vaste champ de bataille, il disséminait ses forces, livrant ses lieutenans à des surprises comme celle dont Vandamme fut victime, ou à des échecs comme ceux qu’essuyait Ney sur la route de Berlin. Il s’exposait lui-même, quelque savantes que fussent ses manœuvres, à se trouver un jour pris entre trois armées auxquelles il aurait à livrer sur place trois batailles gigantesques : c’est ce qui arrivait à Leipzig. Or, cette bataille de trois jours une fois perdue, la France était ouverte ; la défense du Rhin n’avait pas été prévue, ou l’on n’y avait songé que tard, et tandis que l’armée se repliait précipitamment à travers l’Allemagne, harcelée par les alliés, il restait cent mille hommes dans les places du nord, cent mille hommes dispersés, immobilisés, séparés de la France assaillie de toutes parts, et sacrifiés à la chimère de la conservation des villes anséatiques et du protectorat de la confédération du Rhin. Napoléon périssait par le sentiment démesuré d’une puissance qu’il croyait retenir encore, et qui lui échappait de tous côtés. Et ce sentiment outré d’un pouvoir sans limites se montrait à l’intérieur aussi bien que dans ces luttes des nations. Vers le même temps, un jury d’Anvers absolvait des accusés mis en jugement pour des faits de concussion administrative. L’empereur, indigné de cet acte d’indulgence qui cachait peut-être quelque hostilité, cassait l’arrêt de justice, renvoyait les accusés absous devant d’autres juges, et mettait en cause quelques-uns des jurés eux-mêmes. Il était impossible d’accumuler plus de violences dans un sentiment d’honnêteté révoltée. Au reste, Napoléon ne dissimulait pas sa pensée. « Le souverain, disait-il ou faisait-il dire en son nom, est la loi suprême et toujours vivante ; c’est le propre de la souveraineté de renfermer en soi tous les pouvoirs nécessaires pour assurer le bien, pour prévenir ou réparer le mal. » Par là toutes les institutions étaient supprimées ; il ne restait plus clairement et ostensiblement debout que la volonté d’un homme. C’était trop ou trop peu, si grande, si bien intentionnée que fût cette volonté : l’empire périssait sous l’empereur.

On peut dire que chaque époque a un signe particulier. L’empire a eu le sien ; la restauration a eu de même son caractère propre aussi bien que la monarchie de 1830. Ce n’est point certainement par l’abus du pouvoir qu’est tombé le régime inauguré par la révolution de juillet ; il aurait plutôt péri par l’excès contraire. Dans tous les cas, c’est un des plus grands essais qui