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plus utiles que des traités d’alliance offensive et défensive ! Ceux-ci n’embrassaient souvent qu’une chimère pour laquelle coulait inutilement le sang des hommes ; les autres servaient des intérêts sérieux, positifs et saisissables ; ils aidaient au rapprochement des peuples, et faisaient marcher la civilisation plus que les armes ne l’auraient fait. Le traité avec la Russie n’innove pas en matière de commerce international ; il règle les relations des deux pays dans des conditions de large réciprocité, stipulant la liberté commerciale, des droits égaux pour les sujets des deux nations, des exemptions égales. En un mot, après avoir subi momentanément le contre-coup d’une grande guerre, le commerce de la Russie et de la France entre dans une voie nouvelle, sous les auspices d’une législation favorable, et voilà du moins un fruit du rétablissement de la paix, des relations amicales renouées entre les gouvernemens. C’est le fait à côté de la chimère.

La réalité aussi pour l’Angleterre, c’est l’Inde, nous le disions ; c’est cette insurrection dont le caractère et la mesure restent encore dans une sorte d’obscurité inquiétante, et qui fait compter les heures avec une fébrile impatience à l’arrivée de chaque courrier. Cette insurrection restera-t-elle circonscrite dans la présidence du Bengale ? s’étendra-t-elle à Madras et à Bombay ? Voilà la question dont on attend la solution. Une chose n’est point douteuse pour le moment, c’est que jusqu’ici dans cette explosion soudaine les Indiens se signalent par des actes de la plus odieuse barbarie, et les Anglais, serrés de toutes parts, réduits en nombre, se soutiennent par l’audace et l’héroïsme. On a vu un exemple de cette audace, où il entre un certain mépris pour les indigènes, dans l’affaire qui a eu lieu aux abords d’Agra. Les Anglais ont été obligés de se replier après un échec, mais ils étaient sortis au nombre de six cents pour aller combattre une armée de six mille hommes pourvue de onze pièces de canon, et cette lutte inégale n’a cessé que parce que les Anglais n’avaient plus de munitions. Au milieu de ces émouvantes péripéties, dont les correspondances de l’Inde donnent une idée, il y a des caractères qui prennent parfois un relief étrange. Tel est cet officier parti de Phillour avec moins de cent hommes pour le siège de Delhi, et bientôt tué devant cette place. C’est une sorte de puritain, qui compare les Anglais aux enfans d’Israël campant devant les Syriens. Ailleurs ce sont des scènes profondément tragiques, comme au massacre de Ihansi. Le capitaine Gordon, le capitaine Skene et sa femme se réfugient dans une tour dès le début du soulèvement. Là, ils se défendent tant qu’ils peuvent ; puis, quand ils sont serrés de trop près par les rebelles et menacés d’être pris, Skene embrasse sa femme, lui brûle la cervelle et se tue, tandis que Gordon tombe percé d’une balle au front. C’est là ce qui émeut profondément aujourd’hui en Angleterre, et ce qui est fait pour émouvoir dans tous les pays. Il est malheureusement peu probable que cette situation s’améliore avant que les forces anglaises soient devenues assez considérables pour engager une lutte qui ne pourra qu’être terrible, et ce n’est que dans quelque temps que les renforts récemment expédiés pourront arriver dans l’Inde. D’ici là tout est possible, tout est à craindre.

Ce serait assurément un triste patriotisme en France que celui qui se réjouirait de ces malheurs. Lors même que l’Inde échapperait à l’Angleterre, elle ne serait pas à nous, et elle serait perdue pour la civilisation. Notre