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de souder ensemble les différentes parties qui composent le territoire de la France avant la révolution de 1789 ? On pourrait affirmer que cette admirable unité de sol, de lois et de mœurs qui caractérise la France moderne est moins le résultat arbitraire de la politique qu’un fruit naturel de la race, et même qu’un développement régulier de la civilisation de l’esprit humain. À ce point de vue, Napoléon et la convention paraissent moins des novateurs.que des instrumens supérieurs du génie national.

Quoi qu’il en soit de ces hautes considérations, il est un fait constant qui frappe tous les étrangers : Paris est à la France plus que Londres n’est à l’Angleterre, plus qu’aucune capitale de l’Europe n’est au pays dont elle dirige les destinées. Ce n’est pas seulement le siège du gouvernement, d’où vient l’impulsion de la vie politique ; c’est vraiment le laboratoire de la civilisation nationale. « La France, a dit M. Proudhon, est le pays de l’Europe où se trouve le plus grand écart entre la civilisation et la barbarie, où la moyenne d’instruction est la plus faible. Tandis que Paris, centre du luxe et des lumières, passe à juste titre pour la capitale du globe, il est dans les départemens une foule de localités où le peuple, à peine affranchi de la glèbe, semble avoir rétrogradé jusqu’au moyen âge. » A part cette dernière critique, qui me semble exagérée, il est vrai qu’il existe une disproportion énorme entre le mouvement intellectuel de Paris et celui qui s’accomplit dans les provinces. Si Londres disparaissait tout à coup par un cataclysme, l’Angleterre ne serait pas atteinte dans la source de sa prospérité et de sa grandeur. Napoléon a pu prendre Madrid, Vienne et Berlin sans pouvoir subjuguer l’Espagne, l’Autriche et la Prusse. Il est même plus que douteux que si la fortune l’eût conduit jusqu’à Saint-Pétersbourg, il eût pu vaincre la Russie, tandis que, Paris une fois dans les mains des alliés, la France tout entière dut se soumettre à la loi du vainqueur.

Quelle que soit la cause de l’énorme distance qui sépare la civilisation de Paris de celle des plus grandes villes de province, telles que Lyon, Bordeaux, Marseille, Toulouse, Lille, etc., c’est un fait qui frappe tous les yeux, surtout en ce qui touche aux arts de l’esprit. Y a-t-il en province une littérature qui ait un caractère qui lui soit propre et qui ne soit pas une imitation plus ou moins déguisée des livres sanctionnés par le goût de la capitale ? Évidemment non. Il n’y a pas en France de littérature locale, fruit savoureux du sol qui le produit, comme elle existe en Angleterre, en Allemagne et en Italie. Aussitôt qu’un homme d’esprit se révèle dans un chef-lieu de département et montre quelques dispositions à chanter les bords du ruisseau qui l’a vu naître, on lui crie par-dessus les toits : — Votre place n’est pas ici, allez à Paris ! — Eût-il d’ailleurs le bon sens de résister à l’opinion qui le chasse doucement par les épaules hors de son lieu natal, comme Platon exilait les poètes de sa république, l’homme d’esprit ne tarderait pas à subir J’influence délétère du milieu où il se serait condamné à vivre. Rien, ne le soutiendrait dans sa laborieuse carrière d’homme inutile, et, après les premiers encouragemens de l’opinion qui voulait le couronner de roses en lui