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CÔTES DE PROVENCE.

Privé d’un bras, la croix orne son humble veste.
Que fut-il ? On répond : enseigne à Trafalgar !

De ces hommes, si fiers aux jours des forces neuves,
De tous ces voyageurs, de tous ces combattans,
De tant de cœurs d’acier trempés dans mille épreuves,
Qu’avez-vous fait, hélas ! ô rudes mains du temps ?

Vous les avez flétris, comme l’hiver les arbres ;
Vous les avez frappés, criblés de coups mortels ;
Vous les avez assis, tristes, parmi ces marbres,
Fantômes de héros sur des débris d’autels !

À la tiède chaleur qu’un ciel d’automne épanche,
Chaque jour, ils sont là, grelottant sous nos murs ;
Au vent qui, tour à tour, frappe une tête blanche,
Achevant de tomber comme des fruits trop mûrs.

Vêtus de haillons bruns, ils rêvent, immobiles,
Presque tous indigens après tant de travaux ;
Eux, par qui l’opulence abonde dans nos villes,
Eux, par qui notre gloire a volé sur les eaux !

De leurs mornes ennuis rien ne vient les distraire,
Si ce n’est cette mer au spectacle mouvant,
Une barque qui lutte avec le vent contraire,
Du nord ou de l’aurore une voile arrivant ;

Ou bien, par intervalle, attrait plus doux encore,
Une fille au pied leste, au bras pur, à l’œil clair,
Qui vient, au puits voisin, remplir son humble amphore,
Et dont le chant joyeux semble une fleur de l’air.

Elle passe et repasse, au front portant son urne,
Et les pâles vieillards, glacés par les autans,
Suivent d’un long regard, d’un cœur moins taciturne,
La fraîche vision de grâce et de printemps !


J. Autran.