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REVUE DES DEUX MONDES

À combien de périls ou d’héroïques actes
Ne furent pas mêlés leurs vagabonds destins !

Ah ! si dans un volume on jetait leurs pensées,
Recueil de tant de faits qui dorment enfouis,
Quel poème touffu, quel groupe d’odyssées
S’offriraient page à page aux lecteurs éblouis !

Cet homme, en plein soleil, qui s’agrafe à l’épaule
Un pan de laine usée, et semble encor transir,
Jeune, vécut trois ans sur les glaces du pôle,
Coûtant à chasser l’ours un sauvage plaisir.

Le voisin qui lui parle et languit sans courage
Prit la mer à sept ans, ardent à s’élancer.
 — J’ai fait, murmure-t-il, quatorze fois naufrage.
Heureux temps ! que ne puis-je, hélas ! recommencer !

L’autre qui dort, le front dépouillé, la peau bistre,
Jadis blond matelot, eut partout des amours.
Tombé du pont, un soir, dans une mer sinistre,
Sur un tronçon d’antenne il flotta douze jours.

Tel d’entre eux porte un nom que la tribu répète :
Paul Evrard, digne fils des temps qui ne sont plus,
Timonier sans égal, seul, dans une tempête,
D’un désastre imminent sauva le Romulus.

Ton nom, Toussaint Deschamps, n’est pas moins populaire :
Quand l’Anglais au commerce interdisait les eaux,
Que de fois on te vit, audacieux corsaire,
Fondre, la hache au poing, sur ses meilleurs vaisseaux !

Les mers n’ont pas d’écueils, les plages pas de ville,
Que Faure, ancien gabier, n’ait connus en passant.
Il partit, il revint avec Dumont d’Urville ;
La passion de voir lui consumait le sang.

À Germain Lepradier demandez son histoire.
 — Dans une île du sud par l’ouragan jeté,
Je fus roi, dira-t-il, d’une peuplade noire,
Et, par elle, en dédain je pris la royauté.

Salut à celui-ci, qui, de son coin modeste,
À l’horizon de brume attache un long regard !