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REVUE DES DEUX MONDES

Une demeure, un nid, soit palais, soit chaumière,
Qu’importe en lieu si beau ?

Et là, des mois entiers, se donner à l’extase ;
Dans le bleu sans limite à loisir voyager ;
Voir l’aube qui vous rit en soulevant sa gaze ;
Voir, au soleil couchant, sur la mer qui s’embrase,
Les îles d’or nager ;

Humer à pleins poumons cet air qui réconforte,
Qui rend une jeunesse au cœur du défaillant ;
Vivre des fruits du sol, du butin que rapporte
Le pêcheur familier, — qu’il jette à votre porte
Encor tout frétillant ;

S’abriter à midi dans l’antre basaltique
Qu’ombrage la liane accrochée aux palmiers ; —
Lentisques, aloès, colonie exotique,
S’asseoir auprès de vous, rêver du monde antique
Et des amours premiers ;

Conduire l’adorée à l’ombre des grands chênes,
Me coucher dans les fleurs, le front sur ses genoux ;
Croire que tout finit aux montagnes prochaines,
Que le monde n’est plus, que la vie et ses chaînes
N’existent plus pour nous ;

Renouveler sans fin les mutuelles flammes,
Et, les yeux vers le ciel, dire au Seigneur merci !
Et dire aux élémens, aux fleurs, aux vents, aux lames,
Dire aux astres des nuits : — N’avez-vous pas des âmes
Qui tressaillent aussi ?…

Un jour donc, je voulus réaliser le rêve ;
Nous courûmes chercher le lieu d’enchantement.
Le soir du lendemain nous touchions à la grève :
La mer, la sombre mer, que l’ouragan soulève
Grondait sinistrement.

Une jaune vapeur sur les eaux descendue
Anticipait la nuit et présageait un deuil ;
L’éclair illuminait ardemment l’étendue,
Et la vague jetait une barque éperdue
Aux pointes de l’écueil.