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de la famille Avita ayant écarté de lui toute rivalité sérieuse ; mais il avait vu de près quelques années auparavant, et lorsqu’il était encore laïque, une élection épiscopale dont le souvenir ne s’était point effacé de sa mémoire.

Se trouvant à Lyon au moment où le vénérable évêque Patiens, métropolitain de cette ville et son ami, se rendait à Chalon-sur-Saône pour y procéder à la nomination d’un suffragant, Sidoine eut la curiosité de l’y suivre et d’assister à toutes les péripéties de l’élection. C’était un drame moitié triste, moitié comique, dont trois compétiteurs étaient les personnages principaux ; ils se disputaient l’évêché et se partageaient la faveur du peuple. Le plus accrédité des trois était un noble sans mérite et sans mœurs, qui avait enrégimenté ses cliens comme pour une guerre, et ceux-ci parcouraient les rues de la ville, proclamant, à la façon des crieurs publics, les noms, dignités et ancêtres de leur patron, promettant sa faveur, menaçant de sa disgrâce. Le second, riche voluptueux, renommé pour la somptuosité de ses festins, lançait ses parasites sur les places, tenait table ouverte, et avec l’esprit et les vertus d’un Apicius (c’est Sidoine qui parle) il faisait valoir pour l’épiscopat les argumens de sa cuisine. Le troisième enfin, homme d’affaires avant tout, avait pris l’engagement de distribuer à ses patrons électoraux une portion des biens de l’église, en vertu d’un traité en forme signé des deux parts ; c’était chose notoire dans la ville. Tombé au milieu de ces menées infâmes, Patiens exprimait tout haut son indignation. Il fut hué par la populace ; mais le métropolitain était un homme ferme et décidé : il prit dans le clergé de Chalon un prêtre obscur et modeste, naguère encore simple lecteur de cette église, et honoré de l’estime de tous ; il l’amena non sans peine dans l’assemblée, le proclama d’autorité et le fit sacrer sur-le-champ au grand ébahissement des électeurs. Sidoine, présent à cette scène, avait fort approuvé la conduite du métropolitain. De tels souvenirs encore récens l’inquiétaient sans doute pour lui-même, lorsque sur la réquisition des magistrats de Bourges il se transporta dans cette ville, afin d’y conférer avec eux et d’étudier la disposition des esprits.

Il en fut peu satisfait, et nous retrouvons dans une lettre qu’il adressa de là au métropolitain de la province de Sens, Agraecius, le récit de sa première impression. « Me voici à Bourges, où vient de m’appeler un décret de la cité, lui écrivait-il ; veuve du pontife qui la guidait, elle menace de crouler. C’est un vrai combat que j’ai sous les yeux. Le clairon sonne, on court à l’assaut de l’épiscopat : tout le monde s’en mêle, clercs et laïques, grands et petits. Autour des assaillans, la foule se presse avec frémissement, et dans ce pêle-mêle de compétiteurs et d’électeurs, beaucoup se présentent eux-