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Il était à cet âge où l’enfant touche à l’homme,
Où le souffle du temps, le travail, la douleur,
Ont encore épargné la vie à peine en fleur.
Jamais pâtre plus beau dans sa jeunesse imberbe !
Svelte et souple, son corps ne pesait pas sur l’herbe.
Le vent et le soleil, les courses dans les bois,
Avaient bruni son front, doux et rude à la fois.
Sur son bras arrondi comme une anse d’amphore,
Sa tête reposait, sa tête humide encore,
Dont les tempes brillaient d’une moite lueur.
L’air, dans ses cheveux noirs emperlés de sueur,
Se jouait par instans ; sur sa bouche vermeille,
Un sourire passait, errant comme une abeille ;
Et, de quelque buisson dérobée en chemin,
Une branche glissait à demi de sa main.
Il dormait. — Près de lui, broutant les herbes fines,
Ses chèvres, aux longs poils, aux figures mutines,
Cherchaient le sel des mers, leur plus friand régal,
Allaient, venaient, grimpaient sur le roc inégal,
Une d’elles parfois égarant son caprice
Jusqu’au dernier rebord du béant précipice.

Dans l’épaisseur de l’ombre assis paisiblement,
J’admirais cette scène heureuse : à ce moment,
Jeune et belle, apparut au détour de la route
Une femme, arrivant du bourg voisin sans doute.
Lente, elle cheminait, et son charmant regard
Sur les fleurs du sentier se posait au hasard.
Les cheveux dénoués, l’épaule à demi nue,
Toute seule, où tendait ainsi cette inconnue ?
La voilà qui s’avance avec plus de lenteur ;
Elle semble hésiter,… elle a vu le pasteur.
Sa joue, à son aspect, de rougeur se colore :
Approcher, s’éloigner, que faire ? Elle l’ignore ;
Elle approche pourtant, et d’un œil fasciné
Contemple ce front pur, dans l’ombre illuminé.
Un souffle, un rien l’émeut, ainsi qu’une gazelle.
Craint-elle son réveil… ouïe désire-t-elle ?
L’enfant dormait toujours, tranquille en son recoin.
Enfin, — soupçonnant peu qu’elle avait un témoin, —
La belle s’enhardit, et, doucement penchée,
Prit des doigts du pasteur la branche détachée.
Cela fait, je la vis, toujours du même pas,